Par Claire Pontais.
Faire une chorégraphie sur le thème du Petit Chaperon rouge, pour casser les stéréotypes sexués, c’est l’enjeu de cette proposition. L’expérience racontée est celle d’une classe de grande section de maternelle, mais peut – sous réserve de l’adapter aux réponses des élèves -être proposée jusqu’au cycle 3.
Article initialement publié en 2008 dans l’ouvrage « 50 activités pédagogiques pour l’égalité filles/garçons à l’école », 1, puis dans les ABCD de l’égalité 2 en 2014. Actualisé en 2024.
Un des enjeux de la danse scolaire est de faire accéder les élèves à une activité artistique, au registre de l’expressif, du sensible et du ressenti, domaines traditionnellement réservés aux filles.
À l’école primaire, partir d’une histoire, d’un album, d’une poésie permet de faire entrer les élèves rapidement dans un projet expressif de danse. Les élèves sont ouverts à beaucoup de thèmes. Il est cependant parfois difficile de ne pas tomber dans les pièges des stéréotypes sexistes (cantonner les filles dans des rôles typiquement féminins (princesse, soumission, peur…) et les garçons dans des rôles masculins (aventuriers, robots…) ou de privilégier vitesse, gestes brusques chez les garçons et fluidité, douceur chez les filles. L’enjeu est de faire vivre à tous les élèves, garçons et filles ensemble, ce qui leur est au départ inconnu dans un but de rencontre et de culture commune.
Faire une chorégraphie sur le Petit Chaperon rouge, qui donne a priori des rôles sexués (le loup est un garçon, le chaperon une fille) est intéressant à étudier avec des élèves dans une visée d’égalité pour :
– faire accéder les enfants à une motricité expressive qui suppose un engagement de tout son être ;
– lutter contre les stéréotypes et les modes culturels dominants en proposant une mixité pour les deux rôles ;
– permettre aux enfants de découvrir des relations inhabituelles qui ne passent pas par le langage verbal (se toucher, se regarder…) ;
– permettre à tous.tes et en particulier aux garçons d’oser entrer dans une activité expressive, non utilitaire.
L’élève va apprendre à (quelle que soit l’histoire, le conte, le poème, le thème choisi) :
– Se mouvoir en fonction d’une intention pour émouvoir les spectateurs : il s’agit de réduire le décalage entre l’intention expressive et la production qui sera regardée.
– Utiliser l’espace, l’énergie, la musique, un vocabulaire gestuel stylisé en fonction de cette intention.
– Enrichir ses relations avec l’autre (garçon ou fille) au service du projet chorégraphique.
– Oser passer devant des spectateurs, devenir un spectateur exigeant et sensible.
…
But du jeu pour les élèves :
Faire un spectacle (ou une vidéo) à partir de l’histoire du Petit Chaperon rouge.
L’enseignant·e conçoit la chorégraphie pour mettre en cohérence le projet de spectacle et ce que les élèves doivent apprendre.
La danse est décomposée en quatre tableaux qui évoquent successivement la scène dans la forêt, la rencontre avec le loup et avec la grand-mère, jusqu’à la mort du loup. Chaque tableau correspond à une séquence forte du livre. Il s’agit de dépasser le « raconté » et avoir comme projet d’interpréter le message de l’histoire (ce n’est pas une reproduction de la réalité, l’imaginaire du spectateur est sollicité).
Le tableau suivant est conçu par l’enseignant.e avant le module pour les intentions et les contraintes.
Les intentions de chaque tableau sont liées à l’histoire et à l’effet que l’on veut produire sur le spectateur. Pour guider les élèves, l’enseignant.e imagine les actions corporelles qu’ils peuvent trouver, tout en restant ouvert.e à leurs propositions.
Les axes de progrès et les critères de réussite sont ajustés en fonction des réponses et de l’implication des élèves.
Intention | Contraintes (musique, consignes) | Ce que l’on fait / ce qui doit être amélioré | Critères de réussite à construire avec les élèves – exemples |
1er tableau Le loup se promène (chasse, guette, fourberie)Le chaperon se promène (insouciance) | La musique* incite les enfants à alterner sautillés et arrêt A l’arrêt, il faut exprimer l’intention (peur ou chasse) avec la tête et le regard *Vangelis Apocalypse des animaux- Intro | Il faut apprendre à : anticiper pour s’arrêter juste avec la musique bouger la tête sans bouger le corps avoir un regard expressif | Je danse bien si je m’arrête avec la musique et que je ne bouge plus du tout sauf la têteLe spectateur distingue bien les deux rôles |
2è tableau : Le loup séduit le chaperon (rencontre, découverte de l’autre) | Le loup se retrouve face à un chaperon Danser très près, sans se toucher. Cela doit être très très lent* *Dire Straits- Money for nothing | Il faut apprendre à être très près de l’autre sans le/la toucher, Réagir en fonction de l’autre Faire durer l’action longtemps, doucement | Exemple : Je danse bien si je ne ris pas quand je regarde l’autre Je suis toujours très près de l’autre, nos gestes se répondent |
3è tableau Le loup mange la grand-mère (dynamisme) | Choisir deux ou trois gestes quotidiens, les transformer en les agrandissant énormément Les répéter pendant la durée de la musique De manière énergique | Il faut apprendre à déformer un geste quotidien jusqu’à ce qu’il ne ressemble plus à la réalité à faire plusieurs fois le même geste à soutenir un rythme | Je danse bien si je fais toujours exactement le même geste (le loup qui mange) et que je le fais le plus grand possible |
4è tableau Combat entre loup et chaperon (dramatique) | Faire une fausse bagarre au ralenti | Apprendre à se contrôler pour « faire semblant » Apprendre à faire durer longtemps une action | Je réussis si je fais le plus doucement possible si je ne ris pas si je ne m’arrête |
Mort du loup | libre : choisir son intention : faire rire le spectateur, le surprendre (modifier la fin de l’histoire, etc. | Ne pas s’arrêter avant la fin |
Les contraintes de la situation « obligent » les élèves à transformer leur motricité par rapport à l’intention voulue. Elles viennent de la musique, de l’organisation de l’espace, du vocabulaire gestuel sollicité et des relations entre Loup et Chaperon.
En danse comme dans toute activité, l’élève doit savoir s’il réussit ou non pour mesurer l’écart entre son projet et sa réalisation. C’est déterminant pour que tous les élèves, notamment celles et ceux qui ont peur d’être ridicules. La notion de réussite en danse n’a pas le même sens que dans les autres activités, elle n’est pas liée à une performance ou un gain par rapport à l’autre. Réussir en danse se « mesure dans le regard du spectateur : « Tu voulais traduire telle émotion…. as-tu réussi ? ». Ce qui suppose de décider avec les élèves « quels sont les critères pour dire qu’on a réussi ». Ces critères ne peuvent être écrits a priori, ils sont à construire avec les élèves au fur et à mesure de leurs trouvailles.
La musique : Un montage musical avec ; Apocalypse des animaux- Intro (Vangelis) et Money for nothing (Dire Straits). Bien entendu, tout autre musique (ou montage) est possible.
Démarche d’apprentissage (12 séances environ)
Avant d’aller danser : Il faut bien étudier l’histoire (compréhension de récit) de façon à reconstruire avec les enfants les 4 tableaux, les intentions des personnages, leurs sentiments, leurs actions. Le livre contient des « mots-images » (expressions, illustrations, phrases reformulées…) qui seront des points d’appui pour entrer dans la danse et donner des idées de mouvements.
Quelles actions effectuer pour « raconter » avec nos corps ? La musique peut être étudiée en classe.
Pour la répartition des rôles, les garçons pensent tous au départ qu’ils seront loup et les filles chaperons ! Mais des filles ont aussi envie d’être loup, il est donc important que chacun.e travaille les deux rôles, qui seront travaillés alternativement à chaque séance. Les rôles seront fixés juste avant le spectacle final. Si cela posait problème, cela pourrait se faire par tirage au sort.
En maternelle, les enfants acceptent facilement la mixité des rôles. En CE2, l’album « Dans la forêt profonde » où le Petit Chaperon rouge est un garçon, leur permet de mieux répartir les rôles 3.
Une fois que l’histoire a été étudiée et que les enfants ont décidé globalement des gestes qu’ils pourraient faire, ils ont très envie d’aller danser dans la salle d’EPS. Ils et elles pensent que ce sera facile de faire ce qu’iels ont prévu.
À la première séance, iels jouent un ou deux tableaux et font un spectacle à la fin de la séance, en 2 groupes (spectateurs/danseurs). On peut filmer pour revoir la prestation en classe.
Les élèves sont déçus (vraiment déçus !) parce qu’iels voient immédiatement le décalage entre ce qu’iels voulaient faire et ce qu’iels ont fait réellement : « on va trop vite alors qu’on a dit qu’il fallait aller lentement ; beaucoup ont ri alors qu’il fallait avoir peur ; les gestes n’étaient pas assez grands et les spectateurs ne les voyaient pas bien ; beaucoup avaient le dos tourné au public ; on était trop tassé… »
Les critères de réussite se construisent ainsi progressivement.
Une fois les critères de réussite construits, chaque enfant doit prendre conscience de ce qu’il fait réellement (c’est difficile parce qu’on ne se voit pas : il faut faire appel aux sensations et au regard de l’autre). On peut regarder la vidéo en classe pour aider à cette prise de conscience.
Séances suivantes : Il y a ensuite un travail tableau par tableau pour :
– décider et épurer les gestes (retenir les plus intéressants, les dépouiller de ce qui est inutile) ;
– agrandir les gestes, les ralentir ;
– travailler l’expression en même temps (le regard, la concentration) ;
– se situer dans l’espace collectif les uns par rapport aux autres.
Chaque tableau demande au moins 2 à 3 séances de travail spécifique. Ce travail du spectateur- chorégraphe peut être facilité avec l’utilisation de la vidéo, mais il faut se voir plusieurs fois pour analyser ce que l’on fait. Le rôle des spectateurs est important : faire attention à mixer les rôles, les enfants ayant tendance spontanément à regarder leur copain ou copine.
En maternelle, les élèves auront plus de difficulté à prendre conscience de ce qu’ils font ou pas. Les critères de réussite doivent être très globaux et toujours rapporté à ce que l’on veut que le spectateur ressente. Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir des gestes identiques pour tous les élèves. Le travail en « unisson » – quasiment impossible – ne constitue pas un objectif, sauf avec des gestes très lents et très simples. Les réponses de même nature (et non identiques) seront privilégiées.
Nous avons opté pour des duos Loup-Chaperon non systématiquement mixtes (il peut y avoir un garçon et une fille ensemble, deux garçons ensemble ou deux filles ensemble). Le choix pourrait être différent, mais il nous a semblé qu’en primaire, la lutte contre les stéréotypes passait d’abord par la mixité des rôles Loup-Chaperon.
Dans les situations de contact (séduction du loup et fausse bagarre), il peut y avoir des réticences, notamment en cycle 3. Il faut varier les duos (en les tirant au sort par exemple) pour que les élèves s’habituent à jouer avec différents camarades, garçons ou filles. Pour éviter les approches trop affectives, il est nécessaire de toujours centrer les enfants sur la relation intention-expression. Il est intéressant de faire remarquer que tel ou tel duo (de filles, de garçons ou mixtes) ne trouvent pas les mêmes réponses pour que le groupe s’enrichisse de cette diversité. Les élèves doivent comprendre qu’en danse, on a le droit de copier …de piquer les idées des autres pour enrichir notre chorégraphie !
Dans les discussions, il faut être vigilant sur la prise de paroles. La danse permet la prise de paroles d’élèves moins sportifs-ves, mais il faut également exercer une vigilance envers des sportifs-ves qui auraient tendance à s’effacer dans cette activité.
Les critères de réussite sont des repères permanents qui permettent l’évaluation formative. Le spectacle en direct ou en vidéo constitue l’évaluation finale, sachant que la classe ne peut présenter un spectacle que si celui-ci est abouti. Il en va du respect des spectateurs et spectatrices !
Pour aller plus loin : La danse, des outils pour se lancer La danse, c’est quoi ?