✅ GRS à l’école primaire : Faire des exploits avec un ballon

Et si toutes les filles étaient capables de maitriser un ballon ? Et si tous les garçons avaient du plaisir à pratiquer une activité esthétique ? … Faire accéder filles et garçons, ensemble, aux mêmes apprentissages techniques tout en luttant contre les stéréotypes sexués, c’est le défi que Claire Pontais invite à relever en proposant un projet collectif de gymnastique rythmique avec ballon1.


L’éducation physique et sportive en France, enseignée en mixité, entend contribuer à l’égalité filles/garçons. Cependant, les différences de niveaux constatées apparaissent souvent indépassables, alors qu’elles sont le résultat d’une éducation sexuée, inégalitaire. C’est particulièrement le cas pour la manipulation d’un ballon. La majorité des filles ne jouent pas au ballon dans leur famille, ni dans la cour de récréation et restent ainsi malhabiles avec cet objet. Inversement, la majorité des garçons, souvent cantonnés dans les sports collectifs, restent éloignés de la dimension esthétique. Faire étudier la Gymnastique rythmique avec ballon à l’école répond donc à un enjeu de culture commune pour que filles et garçons accèdent aux mêmes apprentissages techniques, méthodologiques et sociaux. L’ambition est, dans le même temps, de contrecarrer les stéréotypes sexués et faire évoluer leurs représentations sur leurs propres compétences et celles de l’autre sexe.

La Gymnastique Rythmique avec ballon

La GR est une pratique sociale qui allie gymnastique et jonglerie. Le but du jeu est d’impressionner, d’épater un public en faisant des exploits corporels de plus en plus difficiles avec un objet. C’est une épreuve selon Bernard Jeu. Il s’agit de prendre des risques (lancer, faire une figure difficile ..) et de maîtriser le risque pris.
La GR se distingue des autres activités avec ballon : ce n’est pas une performance athlétique (où il faut lancer loin), ni une confrontation aux autres comme en sports collectifs (où faire des passes est un moyen de marquer des buts). Le but du jeu « faire des exploits » évite de donner des consignes genrées du type « faire joli avec le ballon » (risque de rejet des garçons) ou « faire comme les basketteurs » (risque d’exclure une majorité de filles).

La GR posent deux problèmes principaux (Loquet 1996) :

  • lancer-rattraper : donner la trajectoire voulue au ballon et assurer le rendez-vous
  • entretenir la mobilité du ballon sur un temps assez long (les rebonds)

Les élèves vont apprendre à mettre en relation l’action de leur corps sur l’objet (au départ, ils sont animistes : le ballon ne veut pas rebondir…et veulent changer de ballon !). Ils vont passer de gestes explosifs à une modulation de l’énergie, passer d’une motricité « en bloc » à une dissociation segmentaire, passer d’une prise d’information uniquement visuelle à une prise d’informations sur leur corps (infos kinesthésiques).

Les règles du jeu
En Gymnastique rythmique, le règlement passe par le « code de pointage » qui donne une valeur aux figures gymniques dans le cadre d’une compétition ou démonstration. A l’école, le code est reconstruit par la classe à partir des exploits trouvés par les élèves, qui sont hiérarchisés du plus facile au plus difficile. Grâce au code, les élèves apprennent à se situer, s’auto-évaluer et entrer ainsi dans un processus d’apprentissage.

La situation de pratique scolaire (jeu de référence) – 10-12 séances

La situation exposée ci-dessous a été de nombreuses fois mises en place. L’e code exposé ici est celui d’une classe de CP de 24 élèves 2. Il serait sans doute un peu différent dans une autre classe. Si nous étions en CM, il comporterait des figures corporelles.

Dispositif : Chaque élève dispose d’un ballon. Une grande cour ou un demi-gymnase- Pour la démonstration (spectacle), une piste de 10 x 10 mètres. Ils passent par groupes mixtes de six.

But du jeu : « Faire des exploits avec le ballon sur la piste, pendant la durée de la musique pour épater les spectateurs et spectatrices (1 minute). Faire la statue au début et à la fin. Faire des signes (avec la main, la tête..) pour attirer l’attention d’un spectateur ou d’une spectatrice».

Critères de réussite :
Le ballon ne sort pas de la piste (s’il sort, on « s’excuse » en faisant un signe).
Pour les lancers : toujours rattraper
Pour les rebonds : s’arrêter le moins possible pendant la durée de la musique.
Signes : on les fait pour le plaisir ou pour s’excuser quand on rate et exprimer sa joie quand on réussit
Commencer / s’arrêter en même temps que la musique (faire la statue), changer d’action au changement de musique.

Aides et contraintes de la situation :
Les contraintes aident les élèves à donner du sens au projet tout en les obligeant à transformer leur comportement.
– La musique : incite à un rapport délicat à l’objet. Un montage de deux musiques de 30 secondes : des percussions (pour les rebonds au sol), et une musique de cirque (pour les lancer-rattraper) obligent les élèves à deux actions différentes pendant une durée stable.
– La « piste » et la « statue » renforcent l’idée de spectacle, permettent de faire la différence avec les sports collectifs. La piste limite l’espace et incite les élèves à contrôler leurs trajectoires et à doser l’énergie du ballon.
– Le collectif : être six en même temps réduit l’appréhension au passage devant le public, apprend à occuper l’espace et responsabilise chacun·e par rapport à la production collective.
– Faire des signes à une ou une spectatrice renforce l’idée d’exploit réussi et incite le public à être attentif. On peut attitrer deux spectateurs-trices éloignés l’un de l’autre pour favoriser des déplacements de le/la gymnaste sur la piste.

Différentes étapes de l’apprentissage

1 – Mise en place de la situation, construction du sens : « Est ce que le jeu me plaît » (4 premières séances)
Avant d’aller au gymnase, on peut discuter en classe de la notion d’exploit : qu’est-ce qu’un exploit ? Réponse : quelque chose de difficile et réussi. Pour épater les spectateurs, il faut montrer des choses réussies, il faut donc s’entraîner. Si un enfant dit « c’est pour les filles », parler ensemble du cirque, des jongleurs et des jongleuses.
Dès la première séance, la notion d’exploit, la piste et la musique sont indispensables. Les deux musiques différentes, les déplacements, les signes au spectateur seront introduits après. On se centre d’abord sur le sens de l’activité (faire des exploits difficiles et réussis). Chacun.e entre dedans comme il l’entend : grande prise de risque ou pas, recherche d’esthétique ou pas. Toutes les réponses sont identifiées et répertoriées collectivement.

Observation des premières séances : les élèves expriment leur joie de faire des exploits. Certaines filles ont pour la première fois de leur vie un ballon «rien que pour elle ». Certains élèves peuvent être attirés par les buts ou paniers de basket. L’idée de démonstration/spectacle vient assez rapidement.

Les figures avec le ballon sont répertoriées : lancers, rebonds au sol, sur le corps, roulers au sol, équilibres sur un doigt, etc. Il y a très peu de figures corporelles. Certain.es (plus souvent des garçons) prennent des risques sans intention de les maîtriser (font rebondir jusqu’à perdre l’objet, lancent très haut, jouent au pied sans intention de rattraper ou rattrapent « en catastrophe »). Chaque fois, c’est le but du jeu qui est rappelé : on peut jouer au pied, mais il faut rattraper ! Tous les élèves sont amenés à tenter tous les exploits trouvés même s’ils ne les réussissent pas.

Un code (ou un simple répertoire) provisoire est élaboré au cours de ces 3 premières séances (figure1)

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Fig. 1, code provisoire (seconde séance)

A la 3è séance, nous avons identifié avec les élèves les actions trop faciles (celles que tout le monde réussissait et n’avait plus d’intérêt en tant qu’exploit) et celles impossible à réussir dans le temps imparti (rebonds sur les bras, les pieds, la tête)
Le code définitif comportait donc les deux actions principales de GR (Lancer, rebonds) déclinées en une dizaine d’actions possibles. C’est suffisant. AU départ, nous pensiosn que ce serait insuffisant, mais en fait, non. Les élèves étant plus intéressés par la réussite de leur « meilleur » exploit que par la diversité des réponses.

Le code définitif :

Le principe de construction du code est le suivant : toutes les actions codées pourront être réussies en 12 séances, mais tout le monde ne réussira pas tout. Chacun.e doit réussir au moins un lancer et un rebond. A la 4è séance, le ou la plus débrouillée ne doit pas encore tout réussir.

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Figure 2
2 –Evaluer ce que je fais : « Est-ce que je réussis ou pas », « Pourquoi je ne réussis pas ? » – 2 séances
Pendant une séance, les élèves vont vérifier ce qu’ils réussissent ou pas dans le code. (Une séance pour les rebonds, une séance pour les lancers)
C’est un moment délicat. Ce n’est pas facile pour l’élève. Il faut prendre conscience de ce que l’on fait réellement (et non de ce que l’on pense faire), ne pas tricher, accepter l’échec momentané (or, comme un garçon l’a dit, « c’est honteux de rater avec un ballon ! »)., comprendre que l’erreur faire partie de l’apprentissage.
Les élèves sont par deux : gymnaste /observateur, d’abord avec le code rebonds. Il faut réussir 3 fois de suite pour pourvoir dire qu’on a réussi. Des élèves commencent par le plus difficile (souvent des garçons), d’autres par le plus facile.
Il faut repréciser souvent les critères de réussite (exemple : 10 rebonds = 10 grands rebonds et non pas des rebonds qui finissent au ras du sol)
En apprenant à se situer dans le code (Est-ce que je réussis ou pas ?), beaucoup d’élèves commencent à se demander « pourquoi je ne réussis pas ? », mais pas tous. Seuls certains (souvent les plus en réussite scolaire) essaient de changer leur manière de faire. L’observateur.trice encourage et conseille l’autre (Continue ! Tape encore ! Tourne plus vite, etc), ce qui est une façon de se poser des questions techniques. A la fin de la séance, chacun.e est capable de dire « aujourd’hui, je sais faire telle action, demain j’apprendrai telle autre ».
On fait une séance identique avec le lancer-rattraper (en général, ça va plus vite parce que les élèves ont compris la méthode).

3- « Je m’entraine » pour stabiliser mes exploits.
A cette étape, chaque élève sait se situer dans le code et peut s’exercer à son niveau. Dans cette classe de CP, les élèves les plus débrouillés ont été capables de travailler en autonomie dans la situation avec musique. Les plus débutants ont besoin des conseils. L’enseignante les a centrés sur : ce que je dois regarder pour rattraper ; l’énergie et la poussée à donner au ballon pour qu’il rebondisse longtemps, etc.

La notion de démonstration/spectacle s’affine au fur et à mesure. L’idée de faire des signes au spectateur leur plait. L’originalité est recherchée : sourire, le saluer avec la main, faire une révérence, faire une mimique… Attention ! Ces signes peuvent être stéréotypés, de même que les statues (acrobatiques pour les garçons et esthétiques pour les filles). Les répertorier permet de les « dé-genrer », ils deviennent alors un bien commun dans lequel chacun.e peut puiser.

4- « Je sais ce que je réussis à tous les coups, je fais mes choix pour le spectacle
Une ou deux séances avant la démonstration, les élèves choisissent les exploits qu’ils « réussissent à tous les coups ». La variété d’exploits n’est pas un objectif. Nous avons remarqué que les élèves préfèrent faire l’exploit le plus difficile pour eux. Ce n’est donc pas rare qu’ils fassent un seul type de rebonds et un seul type de lancer. Ils font des signes aux spectateurs avec la règle habituelle ou pour le plaisir.

Des débats sur l’égalité filles-garçons

Dans le gymnase, le travail est centré sur les acquisitions motrices. De retour en classe, plusieurs occasions de débats sur l’égalité se présentent. Construire le code permet de constater des réussites identiques des filles et des garçons. Visionner des vidéos de haut -niveau permet de débattre des pratiques sociales : « les sportives de GR font comme nous ». Pourquoi n’y a-t-il que des filles ? est-ce une bonne idée ? Comment devient-on champion.ne avec un ballon ? En s’entrainant, ce n’est pas une question de filles ou de garçons.

Bilan des apprentissages

A la fin du module d’apprentissage, les écarts entre filles et garçons sont réduits de manière significative. Tous les élèves réussissent au moins un lancer haut-rattraper (calcul de trajectoire) et un rebond sans arrêt pendant la durée de la musique (entretien de la mobilité).

Ils savent se situer dans le code, avec les critères de réussite adéquats. Ils font des signes et sont donc capables de se décentrer de l’action avec le ballon.
Ces comportements peuvent sembler relativement banals (voire peu ambitieux) mais représentent un très grand progrès par rapport à d’autres expériences où ces objectifs n’étaient pas atteints.

Sur le plan de l’égalité, les élèves sont, à l’issue de ce projet, moins « dépendants à l’égard du genre » (Marro, 2012), au moins dans le domaine du sport. Pour les garçons : oui, les garçons peuvent faire de la GR ; non, les filles ne sont pas nulles avec un ballon. Pour les filles : oui, nous sommes capables de faire des exploits.

Pour filles et garçons : Pour réussir, il faut s’entrainer, c’est normal de ne pas réussir du premier coup, on doit réfléchir à ce qu’on fait pour progresser.

Une fois, une élève s’est entrainée à faire les rebonds chez elle. Un garçon l’a qualifié de tricheuse ! Ce fut l’occasion d’expliquer que l’entrainement est un moyen d’émancipation !

Pour réussir un tel projet, voici quelques conseils :

  • Proposer une situation stable pour la durée du module (un jeu de référence, une situation de pratique scolaire, peu importe le nom), dont le principe est qu’elle allie jeu et apprentissage, avec des règles du jeu et des critères de réussite très clairs. Voir Situation de pratique scolaire et apprentissage
  • Proposer des problèmes identiques à tous les élèves (problèmes spécifiques à l’APSA), ne pas diminuer les exigences pour les filles sous prétexte qu’elles sont malhabiles avec un ballon.
  • Ne pas chercher la diversité, mais plutôt la stabilisation de comportements dans 2 actions essentielles : lancer -rattraper et rebonds
  • Introduire la notion de démonstration/spectacle dès la première séance donner du sens et habituer les élèves à passer devant les autres
  • Insister sur la nécessité de s’entraîner, s’exercer, y compris dans le jeu de référence (pas nécessairement des « exercices), insister sur l’importance des essais /erreurs.
  • Profiter de toutes les occasions de discuter des stéréotypes sexués pour montrer leur caractère culturel et construit.

Références bibliographiques

  1. Cette pratique a été de très nombreuses fois expérimentée par des stagiaires en formation initiale et continue. Il a fait l’objet d’un travail de recherche (s/direction de Michel Fabre, université de Nantes): Il a été publié dans 50 activités pédagogiques pour l’égalité filles-garçons (CRDP Toulouse, 2008) et dans les ABCD de l’égalité (2013). Il a été exposé dans plusieurs colloques sur le thème de l’égalité filles-garçons (Créteil 2012, Dijon 2019, ARIS 2020)[]
  2. (2) dans la classe de Pascale Borgon (Manche)[]