L’entrée à l’école maternelle …toute une aventure pour un enfant de 2-3 ans ! Dans ce documentaire, Jean-Paul Julliand relate la vie quotidienne d’une classe de toute petite section de maternelle des Minguettes à Vénissieux. Entretien avec ce réalisateur, fervent défenseur de l’école maternelle et d’une formation de qualité pour les professeurs des écoles. 1

Pourquoi ce film ?

D’abord une intention politique. On était passé de 32 % d’enfants scolarisés à 2 ans en 2002 à 10 % en 2012. Je voulais voir, sur le terrain, les enjeux d’une scolarité précoce ; l’un des objectifs annoncés lors de la campagne présidentielle de 2012.

Par hasard ma fille enseignait dans une toute petite section. J’ai donc eu la chance, rare, de faire un film, à la fois, politique et familial. J’ai filmé, une année durant, « la vraie vie » de cette classe. Jusque- là, dans le cadre de Campus, j’avais reconstruit des « profs virtuels » ; filmant plusieurs enseignant·es sur leur point fort. Une sorte de pédagogie-fiction, à des fins de formation.

Dis maîtresse ! a été tournée dans une seule classe, avec sa réalité quotidienne ; c’est ce qui en fait l’intérêt, je crois. Mais cela n’a pas été toujours compris. Certains « spécialistes » ne montrent que des pratiques « modèles », qui n’existent pas encore, voire qui n’existeront peut-être jamais ! En revanche, le CNED et l’IFE ont acheté les rushes pour les préparations au concours et les analyses de pratique.

C’est aujourd’hui un film « grand public » ? Quelles sont les réactions ?

Lors des avant-premières, quand j’ai demandé aux enseignantes « à qui montrer ce film ? », elles ont dit « D’abord à nos maris ! Pour qu’ils voient pourquoi on rentre fatiguées ! ». Les ATSEM aussi s’y reconnaissent. Ce film est un hommage aux enseignantes de maternelle qui tous les jours tentent d’articuler vivre ensemble, apprendre à parler le français et découverte du monde. Mais il intéresse aussi les enseignant·es du primaire, qui côtoient leurs collègues sans savoir, ni même imaginer, ce qui se passe au sein d’une classe de toute petite section. Évidemment, il est destiné aux parents, et au-delà aux citoyen·nes.

Nous sommes dans une classe de banlieue. Pourtant lors d’une projection en milieu rural, des enseignantes de « tout petits » ont été sciées. « On pensait découvrir des enfants très différents des nôtres… Certes, ils ne sont pas tous de la même couleur de peau que les nôtres, mais ce sont les mêmes ! ».

Entendre cela est important en ces temps où le débat entre nature et culture est brouillé. À moins de trois ans rien n’est vraiment joué. Évidemment, ce ne sera plus vrai en fin de collège, où les inégalités sociales auront eu le temps de faire leurs dégâts. En prendre conscience me semble déterminant.

Et toi, en tant que professeur d’EPS, qu’as-tu découvert ?

En tant que père, j’ai été scotché par ce que réussit à faire ma fille, avec son équipe ! En tant qu’ex-prof du second degré, j’ai découvert un monde à la fois très infantilisé et contradictoirement très inventif.

Infantilisé, parce que soumis à des injonctions parfois simplistes. Par exemple, le film montre différentes périodes de l’année, au sein de groupes stables, repérés par des couleurs… Or, procéder ainsi serait une erreur selon certains IEN. C’est peut-être vrai… Mais rien n’est mis en place pour aider les enseignant·es à réfléchir collectivement aux avantages et aux inconvénients des diverses formules possibles. Au pire, on y oppose la bonne pratique du moment. Il faudrait au contraire leur fournir la boîte à outils et les modes d’emplois pour analyser leur pratique pour, ensuite, la transformer. On pourrait alors véritablement parler d’enseignant- concepteur et, éventuellement, ne pas avoir peur de l’éclectisme, puisqu’il serait conscient.

L’aspect inventif, je l’ai découvert au sein de cette école de banlieue et aussi au congrès de l’association des enseignant-es de maternelle (AGEEM), qui prouvent que la maternelle est vraiment une école, mais avec sa spécificité.

Et en tant que formateur de formateurs ?

Une formation de qualité repose, selon moi, sur, au moins, trois piliers : des outils concrets (y compris des recettes), un cadre d’analyse pour penser sa pratique, et un travail sur les valeurs qui guident l’ensemble. Au-delà de la formation, il faut en priorité baisser les effectifs par classe et penser des locaux adaptés aux moins de 3 ans.

  1. Jean-Paul Julliand a été professeur d’EPS, d’abord dans un collège/lycée puis comme formateur au STAPS de l’université de Lyon. Il a réalisé de nombreux documentaires. Voir sa filmographie.[]