Vincent Paris, enseignant dans la Manche, a modifié sa façon de faire après un stage de formation continue. Une séquence d’apprentissage sous forme de stage, un aménagement stable durant 10 séances, un parcours avec diverses chemins, pas de flotteurs, des épreuves adaptées à chacun.e… Tout cela permet aux élèves de progresser et de s’auto-évaluer. Cela permet aussi un dialogue avec les parents accompagnateurs, les MNS.
Cet article est paru dans le Contrepied n° 11- Maternelle quelle EPS ? – oct. 2002
Le contexte
La séquence d’apprentissage se passe sous forme de stage, les élèves de cette classe de moyenne-grande section vont pendant 10 jours scolaires successifs à la piscine. C’est un choix qui présente plusieurs avantages, entre autres : assurer une continuité avec notamment la simplification du cérémonial autour de la piscine, l’intégration des règles de vie qui n’ont pas besoin d’être répétées, les angoisses minimisées et centrer les enfants sur des apprentissages à court terme (les élèves intègrent l’idée « d’entraînement »). La formule du stage convient parfaitement à la maternelle (mis à part le problème des malades qui peuvent rater toute la séquence).
Organisation : nous disposons de la piscine entière et avons droit à 2 maîtres-nageurs sauveteurs pour encadrer la séance, plus un pour la surveillance. J’ai un groupe de 10 à 12 enfants suivant les années sous ma totale responsabilité dans un demi-bassin où les enfants n’ont pas pied. J’ai l’aide de mamans qui se libèrent pour l’occasion.
Je distingue deux périodes dans mon évolution professionnelle, la « rupture » entre les deux étant liée à un stage de formation continue sur la natation. Je précise que je suis bon nageur mais que je suis très stressé par les problèmes de sécurité quand je vais à la piscine.
Avant : des ateliers avec des exercices différents à chaque séance, des bouées.
Avant …Le bassin était découpé en 4 ateliers avec des 2 ateliers tenus par les 2 MNS et 2 ateliers tenus par 4 mamans. Je préparais pour les mamans des fiches avec des exercices à faire. Ceux-ci étaient à base de déplacements sur l’eau (avec des brassards et/ou bouées, ceintures et « frites »), d’immersions (aller chercher un objet au fond) et de sauts. Les mamans suivaient la fiche à la lettre…le déplacement en car ayant servi de préparation et de « révision » avant la séance ! Cela supposait des fiches très précises pour que les mamans n’aient qu’à suivre le mode d’emploi. La préparation des fiches était très lourde pour moi parce que je proposais des exercices différents à chaque séance. Je pensais que si les élèves refaisaient deux fois la même chose, ils n’allaient pas évoluer. A chaque séance, il y avait une évaluation et les enfants cochaient sur un petit livret ce qu’ils avaient réussi ou pas.
Mon rôle pendant la séance consistait à m’occuper des élèves en difficulté (2 ou 3). J’allais dans l’eau et je prenais dans les bras (ou sur mon dos) un enfant à la fois et je le « promenais » d’un atelier à l’autre pour essayer de le détendre et tentais de le faire participer aux ateliers comme les autres (en le tenant).
Je n’avais aucun échange avec les MNS et si je ne regardais pas ce qui se passait dans l’autre partie du bassin, je ne savais pas ce que mes élèves faisaient.
Ce fonctionnement ne me plaisait pas et tous les ans, je tentais de changer quelque chose pour faire améliorer mon enseignement. Se posait notamment le problème du « harnachement » qui entrave certains mouvements et empêche l’élève de construire son équilibre dans l’eau. Pour assurer la sécurité, les exercices de « sous l’eau » se faisaient un par un. Une maman surveillait l’enfant qui allait chercher un objet. Il fallait sans arrêt enlever, remettre les brassards et ceinture ce qui n’était pas pratique ! Pour améliorer ceci, j’avais proposé un atelier avec matériel de flottaison et un autre sans matériel, les enfants changeaient d’atelier au milieu de la séance en sortant de l’eau, ce qui créait une situation d’insécurité pour moi et pour les MNS. J’ai alors proposé un changement d’atelier sans sortie de l’eau, mais là c’est le matériel qui posait problème. Rien n’était fixé et quand les enfants s’accrochaient aux lignes d’eau, c’était l’occasion de boire la tasse, d’être bousculé, rien de cela n’était propice à une gestion sereine de ma séance !
Je tentais aussi de travailler en réel partenariat avec les MNS… parce qu’on dit que l’enseignant doit gérer sa classe mais dans la réalité, rien de tout cela ne se fait ! J’avais proposé au MNS de rester 5 minutes après la séance. Celui-ci m’expliquait ce qu’il avait fait avec son groupe et ce qu’il prévoyait pour la séance sui vante. Je prenais des notes pour pouvoir en parler avec les élèves en rentrant en classe. Sans cette discussion, il était impossible d’avoir un regard critique sur ce que les élèves me disaient, ni les aider à formuler quoi que ce soit puisque je n’avais rien vu de la séance. Cette formule était intéressante mais est un peu artificielle parce que le fonctionnement sous forme de stage fait que les enfants changent de MNS tous les jours et même si le MNS donnait ses notes au MNS suivant, il n’était pas toujours évident d’assurer le suivi.
Au moment où j’ai fait le stage de formation continue, j’arrivais à saturation. Tous les ans je changeais d’organisation sans vraiment voir d’amélioration. J’étais aussi saturé de préparations, d’organisation et de négociations permanentes.
Le stage a déclenché une nouvelle façon de travailler. Ce qui a été une vraie révélation, c’est le fait de pouvoir faire la même situation 10 séances de suite ! 10 séances strictement identiques au plan organisationnel, quel changement radical pour moi ! Je n’en suis pas encore revenu, et quand les enfants me disent « c’est déjà fini », je me dis qu’il en faudrait 15 !
Après : un parcours qui dure pendant 10 séances , la suppression des flotteurs.
La situation
Si on regarde le schéma, apparemment, on peut penser que c’est une simple « compilation » des actions ponctuelles que je demandais avant. D’exercices très indépendants les uns des autres, je suis passé à un parcours qui enchaîne les différentes actions. En fait, cela change tout pour l’élève.
D’abord, nous avons rangé les brassards, les bouées et autres frites qui ne nous servent plus jamais ! Du point de vue des apprentissages, les déplacements se font uniquement par l’appui des bras sur les différents supports (mur, cage, toboggan…) et le rôle actif des jambes pour s’équilibrer.
Le but du jeu
Faire tout le parcours sans s’arrêter, en prenant appui le moins possible. Les enfants ont même rajouté un objectif qui est pour eux un jeu : faire le parcours le plus vite possible.
Les déplacements sous l’eau qui étaient avant surtout statiques (aller chercher un objet sous moi) deviennent dynamiques. Dans ce parcours, l’élève sait ce qu’il faut faire : se déplacer sous l’eau le plus longtemps possible (en apnée) et aller chercher des objets au fond ; pour cela on doit obligatoirement ouvrir les yeux.
Les élèves progressent plus qu’avant. Au bout de 10 séances, tous essayent d’aller chercher des objets au fond (aucun ne refuse), même si tous n’y arrivent pas.
Du point de vue de l’organisation
Du point de vue de l’organisation, les mamans sont toujours dans l’eau et sont responsables chacune d’une partie du parcours. Leur action consiste à encourager les enfants et leur tenir la main si vraiment ils en ont besoin.
Mon rôle a changé, je suis en dehors de l’eau et j’ai plus le temps d’observer les enfants. Avant je ne regardais rien… je m’occupais d’enfants ! Je me place à un endroit et regarde chaque élève passer aux différents « stands » du parcours. Cela me permet de m’apercevoir très vite de leurs difficultés et de voir comment chacun et chacune se débrouille. Je prends très peu de notes pendant la séance. Cette observation me donne des informations qui me permettent de discuter en classe.
Le déroulé des 10 séances
La grande différence avec avant, c’est que l’élève, dans ce parcours, est bien plus acteur. Comme la situation se répète, cela devient son parcours. Chaque élève sait ce qu’il a à faire, il peut mesurer le décalage entre ce qu’il fait et ce qu’il faudrait faire. La discussion en classe est de nature différente suivant le moment du cycle.
Pendant les deux premières séances, je les centre sur le repérage de l’espace, par où il faut passer, dans quel sens ça tourne. En dessinant, ils tracent le chemin, voit l’ordre chronologique des actions. Dans les séances suivantes je les centre sur ce qu’ils font. Comme je les ai tous observés, si un enfant me dit qu’il sait mettre la tête sous l’eau alors que je l’ai seulement vu mettre le bout de son nez dans l’eau, je peux l’interroger sur ce qu’il croit savoir faire (« tu mets toute la tête dans l’eau ? seulement ton nez ? et tes yeux ? »). Les enfants peuvent comparer les critères de réussite avec ce qu’ils font vraiment.
Les discussions entre enfants sont aussi intéressantes : si l’on constate qu’un enfant réussit bien, on l’interroge sur sa façon de faire pour pouvoir ensuite essayer ce qu’il dit. C’est comme ça que les enfants se sont aperçus que ceux qui vont le plus vite sont ceux qui s’allongent et qui sont sous l’eau. La notion de vitesse qui n’était pas prévue au départ a amené les enfants à progresser, pour rattraper l’autre, pour aller plus vite et pour celles et ceux qui ont passé le cap, se lâcher.
Je n’ai plus la lourdeur de préparation des fiches, puisque la situation ne change jamais ! Je ne me pose plus le problème de l’évaluation, puisqu’elle est intégrée dans la situation !
Des perspectives de continuité et de travail collectif
Pour la maternelle, certains MNS ont désiré intégrer le parcours, nous l’avons donc agrandi pour qu’il puisse recevoir plus d’enfants. A l’initiative de MNS, des collègues qui n’avaient pas suivi le stage se sont approprié cette situation. Certains collègues de CP reprennent la situation en début de cycle pour assurer une continuité.
Même si certains MNS continuent à travailler plus traditionnellement, les mentalités évoluent et la notion de parcours avec des épreuves où l’élève peut évaluer ses progrès, sans brassards et sans bouée, fait son chemin. Des MNS ont proposé un nouveau type de fonctionnement pour tous les élèves de l’élémentaire pour éviter les problèmes de montage et démontage et que les différents parcours – conçus en fonction du niveau des élèves – servent à plusieurs classes.
Cette organisation nécessite un travail en équipe. Pour la maternelle, les actions du parcours sont négociées avec les collègues, elles peuvent évoluer d’une année sur l’autre en fonction de nos observations. Par exemple, le « tunnel » est un endroit où peu d’enfants réussissent, il va falloir trouver une nouvelle façon de poser le problème du déplacement sous l’eau.
La présence obligatoire des mamans suppose une bonne organisation (j’ai besoin de 2 équipes de 6 mamans pour un stage !) et l’intervention « pédagogique » de celles-ci n’est pas toujours contrôlable… mais ceci dit, je suis satisfait de cette nouvelle façon de travailler. Elle répond à mes attentes du point de vue de la sécurité. Les élèves sont bien répartis sur le parcours dès le début de la séance, l’aménagement est bien fixé et les enfants peuvent lui faire confiance. Du point de vue de mon enseignement, je vais encore parfois dans l’eau, mais très ponctuellement. Le plus satisfaisant est de voir les progrès des élèves.
Pour conclure, je crois être maintenant plus en cohérence avec ce que disent les textes en ce qui concerne la responsabilité pédagogique de l’enseignant. Cependant, je dois avouer qu’il faut de l’aplomb pour s’imposer en tant qu’enseignant auprès des MNS qui sont des « professionnels » et qui sont « chez eux » quand nous allons à la piscine. Il faut vraiment faire la constatation d’un meilleur rapport qualité-prix pour les enfants et pour nous pour que les collègues s’engagent dans une formule comme celle ci. Personnellement, j’ai adopté cette nouvelle façon de travailler (garder la même situation pendant tout le cycle) non seulement en natation, mais aussi dans les autres activités d’EPS (gym, athlétisme, etc.…).
Détail de la situation d’apprentissage
Détail des épreuves et des problèmes à résoudre :
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Apprendre à entrer dans l’eau de diverses manières ( épreuves avec échelle, bord, toboggan…)
But du jeu : entrée dans l’eau (par l’échelle, assis, en sautant, par le toboggan)
Critères de réussite : j’arrive dans l’eau puis je me tiens au bord ou à un filin
- 1) je descends par l’échelle
- 2) je saute
- 3) je saute plus haut ou plus loin (je touche le fond avant de remonter)
- 4) je descends par le toboggan, et je me rééquilibre à l’arrivée pour attraper le mur ou un filin
Le problème de l’entrée dans l’eau n’est pas le saut en lui-même, mais la rééquilibration dans l’eau une fois que l’on a sauté. Plus l’enfant saute haut ou loin, plus il se déséquilibre et doit ensuite se rééquilibrer. Au départ, il cherche à rattraper le bord très vite. Ensuite, la remontée sera plus lente et décontractée. Se laisser descendre sous l’eau après un saut (ou toboggan) témoigne d’un apprentissage du « corps flottant » (« se laisser porter par l’eau », ouvrir les yeux, se retourner dans l’eau…).
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Apprendre à rester longtemps sous l’eau (épreuves avec objets sous l’eau, ou distance sous l’eau)
But du jeu : je reste de plus en plus longtemps sous l’eau et je me déplace, en ouvrant les yeux
Critères de réussite : je réussis à attraper un objet / je réussis à faire une certaine distance sous l’eau
Le problème à résoudre : aller sous l’eau nécessite de bloquer sa respiration (faire une apnée) et de faire un effort pour descendre au fond (la poussée d’Archimède nous fait remonter à la surface). Il faut se servir de ses bras pour descendre. L’objet à atteindre concrétise la distance à parcourir et représente un critère de réussite pour l’élève. On peut ne pas mettre d’objet et centrer l’élève sur une distance sous l’eau (d’un point à un autre). Plus le nageur va loin, plus il doit se servir de ses bras pour avancer, plus il doit avoir les yeux ouverts pour se diriger.
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Apprendre à se déplacer en se tenant, en ayant un appui des bras (épreuves sur le mur, un ou deux filins )
But du jeu : se déplacer pour aller d’un point à un autre en se tenant au mur, à un ou deux filins ou au tapis
Critères de réussite : je vais où je veux, en me servant de mes bras pour avancer et de mes jambes pour m’équilibrer.
Le problème à résoudre : la difficulté, lorsque l’on n’a pas pied, est de transformer son équilibre de terrien : il faut se servir de ses jambes pour s’équilibrer et de ses bras pour avancer. Au départ, l’élève ne lâche pas le mur, il a également besoin de sentir le mur avec ses pieds. Sur les 2 filins, il est en appui sur ses bras, reste vertical comme un marcheur, tonique, les épaules hors de l’eau. Dans les deux cas, il ne perturbe pas son équilibre de terrien. Progressivement, il va détacher ses pieds du mur et se servir de ses jambes pour s’équilibrer. Il pourra alors se déplacer sur une seule ligne d’eau, y compris si celle qui est un peu mouvante. Lorsque l’on voit qu’il se sert de ses jambes pour se rééquilibrer, que ses épaules sont dans l’eau, et qu’il est décontracté, cela témoigne de l’acquisition d’un nouvel équilibre et du « corps flottant ».
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Apprendre à se déplacer en se tenant de moins en moins (épreuves 1 ligne d’eau, 2 lignes d’eau, tapis et tunnel)
Remarque : tous les enfants n’arrivent pas à cette étape, il faut d’abord maîtriser le déplacement avec appuis pour réussir à se lâcher.
But du jeu : se déplacer en se tenant de moins en moins souvent
Critères de réussite : trouver le moyen que l’élève se rende compte de la distance parcourue sans se tenir
- Exemple sur les filins : je fais la traversée en me tenant tout le temps/ je me tenu 3 fois/ je me tiens une seule fois
- Exemple sur le tapis : je passe sous le tapis et ressors au milieu / je fais toute la longueur sous le tapis, et ressors à l’autre bout
- Exemple : je vais jusqu’à la cage sans me tenir (en poussant sur le mur au départ)
Le problème à résoudre : pour se déplacer, l’élève a besoin de ses bras, plus il est allongé, plus c’est facile. A cette étape, il n’est pas allongé. Tête hors de l’eau, il nage comme un « petit chien ». Sous l’eau, il avance avec un équilibre oblique, regard vers l’avant. L’épreuve du tunnel est très difficile parce qu’elle nécessite d’être sous l’eau et allongé, regard vers le fond. Passer dans deux cerceaux est une étape intermédiaire.
Dans cette situation, il y a 12 épreuves, mais en fait seulement 3 problèmes à résoudre. En fonction de la classe ou si l’on dispose d’un espace plus petit, on peut diminuer le nombre d’épreuves.
L’intérêt est que toutes les épreuves peuvent se complexifier autant que les enfants en sont capables :
- entrées de plus en plus déséquilibrées,
- trajets sous l’eau de plus en plus long,
- nager sans se tenir sur une plus grande distance
Les enfants doivent être en capacité de comprendre ce sens du progrès.
La démarche sur 12 séances :
Le parcours est en place dès la première séance. Les enfants sont répartis tout au autour du parcours pour éviter les embouteillages. Les enfants vont tenter toutes les épreuves et bien sûr ne vont pas en réussir beaucoup. Ce n’est pas grave, savoir qu’ils auront à faire ses épreuves leur fait comprendre le sens du progrès. Pour les détails de la démarche : Consulter : Quel est le rôle d’un ou une enseignante à la piscine ?
Pour en savoir plus l’apprentissage de la nage voici un film qui bouscule bien des idées reçues !
Pour raconter une histoire aux enfants sur le plaisir de nager : consulter Lola, l’intrépide nageuse.