Taha Al Azzawi , formateur à l’INSPE de Périgueux 1 nous propose une séquence de jonglerie qu’il a mené dans une classe de CE2, dans une perspective artistique, avec la présentation d’un numéro qui a pour but de surprendre, d’émouvoir et d’émerveiller.
Dans la représentation populaire, la jonglerie est une activité très complexe qui consiste à faire circuler de plus en plus de balles (ou autre objet), c’est la performance et la virtuosité qui est visée, la dimension artistique se traduisant la plupart du temps dans la mise en scène (paillettes, lumière…). Le cirque contemporain a représenté une révolution historique dans ses années 80 en se tournant vers un regard poétique, une esthétique dans un univers épuré, des relations entre acteurs 2. Ainsi, la jonglerie peut se faire avec très peu d’objets, voire un seul comme la « balle-contact », mais dans le but d’émouvoir, de surprendre, d’émerveiller. Cette approche contemporaine est celle retenue par les programmes scolaires dans ce qui s’intitule le Champ 4 « S’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique »
A l’école primaire, cette approche artistique est possible et intéressante, dès lors que les élèves ont acquis un petit bagage technique. Pour réussir à lier les deux, nous choisissons de ne pas multiplier les exploits (équilibre, acrobatie, jonglerie, art du clown) pour nous centrer sur la jonglerie, avec des foulards et des balles (prévoir 3 foulards par élèves, 2 balles par élèves).
Situation de référence et apprentissages visés
Quel projet pour les élèves ?
Apprendre à jongler avec les foulards et les balles pour faire un numéro qui a pour but de surprendre et d’émouvoir les spectateurs/trices.
- Jongler sans faire chuter les objets (au moins 10 jongles), avec deux ou trois foulards et avec 2 balles
- Faire des formes de jongles différentes : en piston (lancer, rattraper dans la même main), en croisé (de la main G à la main D), en soleil (objets qui tournent)
- Jongler avec des postures différentes (assis, à genoux, en frappant dans les mains, faisant un tour sur soi)
- Faire du passing : par 2 ou par 3 trois, se lancer les objets et les rattraper
- Le numéro se fera à 2, 3 ou 4 maximum. Il devra comporter une entrée, un milieu (les jongles) et une sortie – une petite narration, une ambiance, pour intéresser, émouvoir le spectateur ou la spectatrice. Durée : 45 secondes à une minute. Critère de réussite : le.la spectateur/trice ne doit pas s’ennuyer.
Etapes de progression :
Les premières séances sont consacrées aux techniques de jongle : d’abord avec 1 foulard et 1 balle, puis 2. Ensuite le passing (échanges de balles en duo ou trio) leur sera proposé. L’objectif est de montrer aux élèves qu’ils peuvent faire beaucoup d’exploits avec un seul objet, et en même temps leur faire acquérir des apprentissages techniques pour être ensuite suffisamment à l’aise avec les objets pour pouvoir créer un petit numéro.
La mise en scène de numéro ne sera proposée que lorsque les élèves seront à l’aise dans le passing et exprimeront le désir de montrer leurs exploits aux autres.
Les contenus relatifs aux apprentissages techniques
Comportements de départ (pas à l’aise) | Comportements visés (disponibilité) |
De nombreuses chutes, l’élève ne se rend pas compte de l’endroit où iel lance. | |
Le corps est raide, la motricité « en bloc » et d’une manière générale, n’a pas conscience de sa posture, ni de ses différentes parties du corps | Le corps est disponible, avec des appuis et une tonicité/relâchement, qui permettent de rattraper toutes les petites erreurs de lancés/ rattrapés pour jongler longtemps |
Les pieds sont joints | Les pieds sont écartés, genoux fléchis, bassin en rétroversion, dos droit, le reste est mobile et dissociable |
Les bras sont devant le corps, sans mise en jeu du coude (« bras tendus) | Les bras sont écartés du corps, les coudes souples et mobiles, les poignets relâchés et disponibles |
Les mains sont crispées sur l’objet Les doigts sont raides, non dissociés | Les mains sont ouvertes, rapides dans la saisie et aussi dans le lâcherLes doigts sont souples, toniques et dissociés |
Le regard ne prend pas des informations pertinentes sur les balles : reste bloqué sur son mouvement ; ce qui prive le corps de disponibilité. | Le regard prend des infos pertinentes : se fie au point mort haut de la trajectoire, permet aux mains d’anticiper les points de chute. |
Les contenus relatifs aux apprentissages du jeu d’acteur
Ils arriveront vers la 5é ou 6è séance : Composer un numéro, agencer des formes de jongles pour produire un effet. Se concentrer avant la prestation et après la prestation. En tant que spectateur, échanger son point de vue.
L’organisation des séances – l’intérêt du cercle
Pour que le cycle se déroule bien, il faut – si possible – une grande salle (type salle des fêtes ou petit gymnase) avec un plafond assez haut. Un appareil pour la musique. Pour 25 élèves, environ 50 foulards et 50 balles de façon à ce que toute la classe travaille en même temps. Les balles ne doivent pas rebondir. On peut les fabriquer si notre budget est réduit3. Je préconise une occupation de l’espace en cercle : un grand cercle avec tous objets au milieu et tous les élèves avec au moins un objet. Intérêt du cercle :
- Le cercle rappelle le cercle du chapiteau, et aide les élèves à percevoir le sens de l’activité (éviter par exemple les lancers loin ou les tirs que l’on ne rattrape pas)
- Le cercle crée un climat de convivialité et d’inclusion. Les élèves se voient sans que l’on ait besoin de « se montrer », cela permet aux timides de prendre l’habitude d’être devant les autres sans être dans une situation de spectacle qui peut stresser.
- Chaque élève a son matériel, il a les « mains occupées », les variantes énoncées par le prof lui permettent de persévérer longtemps
- Le cercle permet à l’enseignant.e de voir tous.tes ses élèves et « rebondir » sur une réponse intéressante ou au contraire s’arrêter sur un problème à résoudre.
Séance 1 : entrée dans l’activité avec une phase en classe et ensuite la séance pratique
En classe : qu’est-ce que le cirque ? qu’est-ce que la jonglerie ?
Interroger les élèves sur ce qu’iels connaissent du cirque. La plupart du temps, iels ne font référence qu’au cirque traditionnel (alors même que dans notre département, à 20 km, il y a un gros centre de cirque contemporain !)
Leur demander leur définition du jonglage et les amener à comprendre qu’il faut lancer et rattraper avec une grande précision.
Leur monter une ou deux vidéos de cirque artistique : exemples : Cirque Plume , Cirque Aïtal, Cie Bazar Forain, Cirque sans nom, Baro d’Evel,…
Ces vidéos permettent de pointer les différences entre cirque traditionnel et cirque contemporain (moments lents, lumières douces, musique qui crée un univers, très dépouillé, jeu d’acteur proche du théâtre), de leur faire prendre conscience de toutes les possibilités qui s’offrent à elleux, de faire émerger le projet de spectacle et de la nécessité de s’entrainer !
Séance pratique n°1 : entrer dans des habiletés de jonglerie simples avec un ou deux objets
Echauffement
L’échauffement est un moment où l’on peut centrer les élèves sur la prise de conscience des différentes parties de leur corps, ce qui sera bien utile pour sortir de la motricité « en bloc ». Tout est possible, insister en particulier sur :
- des étirements, des dissociations, des croisés de bras/mains (postures inspirées du yoga)
- écarter ses appuis, fléchir les genoux, être souple sur son bassin, dos droit mais pas raide: prendre conscience que l’on doit être disponible dans une sorte de cercle imaginaire, pour rattraper l’objet quand on fait des micro-erreurs.
- Prise de conscience de la respiration : les élèves doivent apprendre à continuer à respirer quand ils jonglent, le blocage est souvent synonyme de raideur des membres, et de crispations.
Travail avec un foulard par élève, puis deux
L’intérêt du foulard est qu’il plane (« se déploie comme une méduse »), mais pour le faire planer, il faut le lancer et le lâcher assez haut au-dessus de la tête, donc le lancer bras tendu, avec une extension du coude assez énergique. Les élèves explorent les différentes façons de le saisir, pour voir que c’est plus efficace par le centre (et non les pointes), sans crispation, délicatement. Différentes saisies : en pince, en patte de chat. En fonction de leurs réponses, on peut les centrer sur la position du buste, la stabilité des pieds, … C’est important qu’iels prennent beaucoup de repères sur leur corps, proprioceptifs et anatomiques.
Il faut travailler autant la main gauche que la main droite, avec des lancers en continu (de la main G vers la main D et inversement).
Avec 2 foulards, iels apprennent le lancer croisé (le foulard 1 est lancé avant le foulard 2 et ils retombent de façon décalée). Il faut écarter ses appuis pour donner de l’énergie, et rattraper au niveau du bassin. Si les élèves ne lancent pas assez haut (bras fléchis), ou rattrapent trop haut, iels s’aperçoivent rapidement que « ça s’embrouille » !
A la première séance, le travail avec deux foulards ne dure pas longtemps.
Travail avec une balle par élève :
Avec une balle, la saisie, le vol et le tempo sont très différents. On commence par lancer « en piston », c’est-à-dire lancer main D, rattraper main D. La balle monte au-dessus du visage et descend au niveau des hanches. Il faut doser la force du lancer, ne pas serrer les doigts » comme un aigle », au contraire accueillir la balle comme si c’était un oiseau fragile qui arrive dans notre main. Les appuis doivent être larges et stables.
Cet apprentissage peut être facilité si on se met à genoux. L’intérêt d’être à genoux est de mieux visualiser les trajectoires des balles, et d’accepter de les laisser tomber ; le repère des genoux et de la chute au sol (« pof ») permet de savoir si on a réussi à « croiser » son lancer de la main droite vers la main gauche
Comme avec le foulard travailler les deux mains, il est impératif de travailler les deux mains.
Ensuite, on peut varier les rattrapés et faire des choses rigolotes :
- Lancer et rattraper avec l’autre main en haut, comme si ma main était un aspirateur, Le rattraper de main haute se fait « en patte de chat », contrairement à la main basse qui accueille toujours la balle avec délicatesse
- Lancer et rattraper en pingouin (main tournée à l’envers dans le dos)
- Lancer départ de mon dos et rattraper devant
- Lancer sous mon genou
- Un bras tendu devant moi, lancer sous le bras, rattraper dessus
Ces différentes façons de lancer créent un effet esthétique qui plait beaucoup aux élèves.
« Le lancer croisé » : de la main G vers la main D et inversement nécessite un lancer parabolique qui n’est pas évident. Pour que l’élève réussisse, il doit construire une trajectoire parabolique, avec un point mort haut qu’on fixe à la hauteur des yeux (trop dépasser au-dessus de la tête fait perdre les repères…et l’équilibre !). A genou, c’est facilitant parce que la balle retombe à côté du genou opposé.
Ce lancer croisé sera la base de la jonglerie à 3 balles. Mais ce n’est pas pour l’instant !
A la fin de la séance, les élèves ont donc vécu une base de travail qui deviendra rapidement une « routine » de travail. Cette séance a permis :
- Une évolution de leur représentation de la jonglerie
- Ressentir une posture de lancer/rattraper, prise de repères sur soi
- La conscience d’avoir une main plus faible que l’autre
- Une connaissance de deux formes de jongles : en piston et croisé. La 3è forme « en cercle » sera abordé beaucoup plus tard.
Bien sûr, iels ont besoin encore de s’entrainer !
Les séances suivantes (n°2 à n°4 ou 5)
Reprise de ce travail de routine (jonglage 2 foulards en continu, jonglage 1 balle) puis introduction du passing + « balle-contact »
Le Passing
le passing implique deux personnes (ou plus) qui s’échangent leurs objets
- Passing avec deux foulards face à face
- Passing balle à genoux au sol : l’intérêt d’être à genoux est de commencer doucement en faisant rouler jusqu’à son partenaire, et aussi de visualiser si un lancer est en ligne droite ou en diagonale croisée.
- Démarrage par la main « faible » ou préférentielle, peu importe, on vise en fin de formation un jongleur aussi ambidextre que possible.
- Le sens du progrès en passing : d’abord avec des foulards, puis avec des balles. D’abord au sol, puis debout. D’abord une balle, puis deux, puis trois. D’’abord face à face, puis en se reculant d’un mètre, puis deux.
- Puis des variations sont possibles en étant créatif : un élève debout, l’autre au sol à genoux , l’un sur une chaise, l’autre debout…
La « balle-contact »
La « balle contact » est une façon de prendre conscience de ce qu’est une balle de jonglerie, et des possibilités artistiques offertes par la jonglerie à un objet, en jouant sur ses propriétés physiques.
Les formes de balle contact portent des jolis évocateurs : « Bonjour, le Olé, la tapette, le câlin, le cœur qui bat, explosion, sattellite, oiseau … » ou plus techniques « blocage poignets, blocage phalanges, sur l’épaule »
Pour illustrer, consulter les tutos de la compagnie le Plus Petit Cirque du Monde (manipulation à une balle)
Séances 5 à 8-10 : vers le spectacle – introduction de la dimension artistiques avec des scénarii
Cette phase peut commencer quand les élèves commencent à vouloir monter leurs exploits et réussites. La dimension collective prend de l’importance (duos au départ). Il s’agira de produire un numéro devant les camarades de la classe.
L’organisation de la classe change :
Au sens où on quitte la forme « cercle des élèves » pour aller vers des petits espaces de scènes réservées pour des binômes. Puis éventuellement d’évolution à 4 avec deux qui font un numéro et deux qui regardent attentivement (construction du rôle de spectateur, comme en danse)
Le scenario exige : une entrée, un milieu, une sortie . il y une infinité de possibles :
Les entrées:
Faire apparaitre les objets « façon magicien » (en sortant les balles des vêtements, du chapeau…), en détournant leur usage (les balles devant les yeux), en les lançant des coulisses vers la scène, etc
Le milieu :
se fait sur les bases des jongles apprises :
- jonglage individuel : face à face, en dialogue
- jonglage en passing : au sol, debout
- balle contact
Ne pas viser des choses trop compliquées : une communication entre les deux circassiens, une coordination synchrone pour réussir les passings, une harmonie dans les échanges, des regards partagés. (on oublie les canons, les unissons trop difficiles…)
Le salut :
saluer avec une expression de satisfaction, une expression espiègle, saluer après avoir fait une galipette, saluer en tenant son partenaire en scène ; …
Conclusion
Au bout de 8 à 10 séances, les élèves réussissent à
- Proposer de réelles habiletés de jongleur, variées dans les formes et maîtrisées dans la capacité à rattraper les objets.
- Construire un propos artistique dans la réalisation d’un numéro simple à deux ou trois, avec un début, un milieu, une fin, lisibles par les spectateurs, dont on réussit à soutenir le regard et l’attention. Mais aussi vivre une expérience dans laquelle on est tour à tour circassien, metteur en scène, spectateur/critique.
- A construire un rapport actif à l’apprentissage, à travers une part d’autonomie et d’indépendance pour arriver à son numéro final.
Bibliographie Ouvrages de jeunesse
- Adam et le fabuleux cirque Von trapèze (Ziga X Gombc et M.KAstelic) 2023 (Ecole des Loisirs)
- Cirque Georges de B.GIBERT (Casterman)
- Nez rouge se fait une amie E.DEVERNOIS (Flamarrion)
- Le cirque de Philbert de S.RIBEYRON (Didier Jeunesse)
- L’étonnante histoire d’amour Carl CNEUT (Ecole des loisirs)
- Le cirque Rouge de Eric BATTUT (Bilboquet)
- Clown, ris !! de Jacques DUQUENNOY (Albin Michel Jeunesse)
Bibliographie indicative
- Revue Contre Pied HS n°3 «C’est quoi ce Cirque ? », 2012
- Revue EPS N°382, le cirque fait école, 2018.
- Arts du cirque à l’école maternelle, équipe EPS des Bouches du Rhône, éd. EPS, 2017.
- Arts du cirque, Alain FOUCHET, éditions Revue EPS.
- « Que sont les arts du cirque ? » Jean Michel GUY, revue Hors les Murs N°21-22, 2001.
- La jonglerie un plaisir simple et facile, D. FINNIGAN, éd. Jonglerie Diffusion1994
Sitographie
- http://cirquelyoneps2.free.fr/Cirque_EPS_Lyon/Accueil.html
- https://1001figuresjonglerie.fr/
- https://jonglerie.ca/
- https://www.netjuggler.net/selection/Jonglerie-c.html
- https://voiesxdecirques.fr/
- Formateur INSPE en EPS à Périgueux pour les professeurs des écoles. Professeur au collège de Nexon co- animateur de la classe à option Cirque (2008-2013), puis animateur d’une UNSS arts du cirque à Saint Junien (2003/2004), puis formateur de professeurs d’EPS à Limoges[↩]
- Voir la revue Contre Pied HS n°3 «C’est quoi ce Cirque ? », 2012[↩]
- sites pour fabriquer des balles : https://www.youtube.com/watch?v=6MSH1fI49KI https://www.youtube.com/watch?v=zAsejbrqz8k[↩]