Faire de la gymnastique, c’est « mettre en jeu son équilibre », transformer sa motricité quotidienne en jouant l’acrobate. Cette situation permet de passer d’une gymnastique purement émotionnelle à une gymnastique socialisée par un code et reconnue par des spectateurs.
Auteure : Aude Piedvache, école Saint Lô
Faire de la gymnastique, c’est « mettre en jeu son équilibre », transformer sa motricité quotidienne en jouant l’acrobate. Cette situation permet de passer d’une gymnastique purement émotionnelle à une gymnastique socialisée par un code et reconnue par des spectateurs.
Auteure : Aude Piedvache, école Saint Lô
Mon contexte
J’ai peu de matériel, j’utilise celui de l’école maternelle que les enfants connaissent. Je précise que je ne suis pas une spécialiste de l’activité mais une enseignante polyvalente.
Les caractéristiques de mes élèves de CP
- ils ont fait beaucoup de gym en maternelle, environ soixante heures à raison de plusieurs cycles par an,
- ils ont une autonomie limitée, en particulier ils ne peuvent travailler seuls sur un atelier s’il y a risque de chute (pour ce cycle, j’ai supprimé un atelier « se suspendre » qui sollicitait trop ma présence)
- quand ils sont centrés sur les actions gymniques, ils ne pensent pas aux règles permettant de fonctionner ensemble : ce n’est pas rare de voir un élève sauter alors que son copain vient juste de finir sa figure. La gym, parce qu’elle permet de faire ce qu’on ne fait pas habituellement, amène quelques débordements. Il s’agit de passer d’une gym purement émotionnelle à une gym « socialisée », par le code notamment.
- pour que le travail sur les ateliers puisse se répéter (condition du progrès), il faut des critères de réussite précis, des consignes limitées et que leurs exploits soient source de sensations agréables qu’ils cherchent à retrouver.
- la construction du code des actions de la classe permet un minimum de réflexion sur l’action et à chacun.e de travailler à son niveau.
- A ces conditions, le cycle peut durer douze à quinze séances et ils peuvent rester au même atelier assez longtemps (certaines séances, une demi heure),
Pourquoi le spectacle et pourquoi dire que l’on fait du cirque ?
Je choisis de mettre en scène une motricité gymnique dans un spectacle de cirque. On se met la tête à l’envers, on vole, on tourne, on s’exerce à chaque atelier pour arriver à faire un exploit « épatant » (pour moi et pour celui qui me regarde) en référence à un code élaboré par la classe.
Le spectacle, c’est un jeu qui permet de dépasse le simple « montrer à la maîtresse » en fin de séance. Un jeu où chacun.e entre comme elle/il veut. Les « prudent.es » par des prises de risque très mesurées, les « casse-cou » prennent le risque d’échouer.
Pourquoi dire « cirque » ? Parce que les enfants de CP savent tous qu’au cirque il y a des « acrobates » alors qu’ils n’ont jamais vu un spectacle ou compétition de gym. Cette référence au cirque est un prétexte. Ce n’est pas un projet artistique, mais bien un projet gymnnique. Je ne dis pas aux élèves « on fait du cirque », mais « on fait de la gym, on est des acrobates comme au cirque »1
Dans notre spectacle, il faut montrer qu’on est fier quand on réussit et s’excuser si on rate (faire une signe, une mimique au spectateur). Là encore c’est un moyen de les centrer de manière « sociale » sur le résultat de leur action et les inciter à progresser. Aucun enfant n’a dévoyé le jeu vers un jeu de clown ( et personne n’a raté exprès pour faire rire).
Quelles actions gymniques choisir?
Les enfants doivent résoudre les problèmes moteurs suivants :
- coordonner se renverser/se redresser sous deux formes :
- en se déplaçant en appui sur les mains corps tendu (la roue),
- en roulant corps groupé (roulade avant, arrière),
- coordonner plusieurs sauts dans un déplacement horizontal (sauter par-dessus des lattes),
- maîtriser l’équilibre du corps en l’air (rebondir sur le trampoline).
Faire la roue | Rouler – Tourner | Rebondir sur la trampoline | Sauter par-dessus les lattes |
---|---|---|---|
But : faire la roue au sol ou par-dessus le bloc mousse. Critères de réussite : j’ai réussi si je vois la forme de la roue et que j’arrive sur mes pieds. Contraintes : Un tapis à franchir : cette contrainte spatiale permet d’amener les enfants à pousser sur les mains et se rapprocher de la verticale renversée | But pour l’élève : faire un petit enchaîné rouler ou tourner à deux Critères de réussite : c’est réussi si on est exactement en même temps que l’autre Roulade avant : rouler droit, se redresser d’un coup. Roulade arrière : rouler sans poser les genoux. Contraintes : le fait d’enchaîner oblige l’élève à chercher une vitesse de rotation pour se relever | But pour l’élève : prendre de l’élan, arriver sur le trampoline, faire 5 rebonds, au 5è on s’envole et on arrive sur les pieds. Critères de réussite : faire 5 rebonds de la forme demandée , bien droit. Contraintes : varier ses appuis sans arrêt oblige à réorganiser sa posture | But pour l’élève : faire 4 sauts de suite Critères de réussite : enchaîner les sauts et arriver équilibré (debout sans bouger) Contraintes : Enchaîner les sauts oblige à doser la position du bassin par rapport au sens du déplacement. |
Pourquoi la roue ?
C’est une action qui a du sens pour les élèves, tout le monde sait ce que c’est (TV, pub…). Pourquoi pas l’ATR (appuis tendu renversé) ? Parce que je trouve qu’il pose des problèmes de sécurité, à cet âge, ils peuvent tomber à plat dos sans rien contrôler. Même s’ils ne se font pas mal, le risque d’une tête en extension, d’un choc est réel, et l’expérience est assez désagréable pour ralentir l’investissement.
Pourquoi la roulade à deux ?
Le fait d’être à deux les incite à contrôler leurs actions pour être ensemble, il y a à la fois plaisir de tourner et plaisir de contrôler pour être en même temps que l’autre.
Pourquoi enchaîner les deux roulades ? La succession de deux éléments donne envie de contrôler ses actions et de se relever sans s’écrouler.
Pourquoi le vol sur place au trampoline?
Les élèves peuvent y travailler en autonomie, le vol unique (après un seul appui sur le trampoline) les fait souvent partir très en avant avec le risque de sortir du tapis de réception. Spontanément les élèves font plusieurs rebonds (malgré l’inclinaison du trampoline !), rebondir plusieurs fois leur plaît, sans doute pour faire durer plus longtemps les sensations nécessitant d’équilibrer le corps.
Pourquoi les sauts en déplacement ?
Au départ, c’est un choix par défaut lié au manque de matériel. A l’usage, ces quatre lattes s’avèrent intéressantes et leur plaît beaucoup, on peut y trouver des similitudes avec le jeu de l’élastique. Personne n’a réussi du premier coup, loin de là.
Le rôle du code
Le code est un référentiel d’actions pour la classe. Il est reconstruit avec les élèves à partir de leurs réponses des quatre ou cinq premières séances, Il permet de répertorier, différencier les actions, leur donner des noms (vocabulaire spécifique) et de les classer du plus facile au plus difficile (ceci est plus ou moins explicite suivant les ateliers). Pour des raisons de rotations d’ateliers, chaque action a cinq codages. Au bout de quelques séances, les enfants ne cherchent plus d’actions nouvelles, ils travaillent celles qui sont codées et s’auto-évaluent à l’aide d’une fiche, Il faut réussir trois fois l’action pour pouvoir dire qu’on l’a réussi. Au-delà du travail spécifique de gym, de préparation du spectacle, les enfants apprennent des règles de vie, passer l’un après l’autre, tenir les tapis si c’est nécessaire et une certaine méthode d’entraînement avec des temps d’essais, de répétition, d’évaluation (rôle d’observateur).
Ce que les élèves apprennent
Se renverser sur la main (la roue)
Ce qu’il y a à apprendre
La roue pose le problème de la verticale renversée et de la « forme » qui suppose une succession d’appuis. Pour ne pas se laisser tomber à l’arrivée, il faut un appui des mains dynamique pour pouvoir se redresser. C’est ce problème de coordination que les élèves doivent résoudre en premier : ils ne posent pas spontanément les mains « du bon côté » et il ne suffit pas de leur dire !
L’aménagement avec un banc très bas cadre l’espace : départ d’un côté du banc, pose des mains sur le banc, arrivée sur les pieds de l’autre côté.
Ce que font les enfants, l’évolution des réponses :
L’arrivée sur les pieds est un critère intéressant parce qu’il « oblige » à monter ses fesses sans se centrer sur le renversement. Un enfant centré sur le renverser prend de l’élan mais ne contrôle rien et s’écroule à l’arrivée. L’apprentissage se fait de manière adaptative, les enfants ont du mal à se poser des questions sur telle ou telle partie de leur corps. Le résultat est pour eux un indicateur qui donne envie de faire de nombreux essais,
Pour quelques élèves qui n’ont pas compris « le sens de la roue » (pied/mains coordonnés du même côté), voici le « petit truc » de ma copine spécialiste :
Je demande à l’élève de se mettre pieds nus… (Oui pieds nus !), puis j’enfile sur une main un des vieux gants qui traîne toujours dans mon cartable, je remets la chaussette sur un pied (pied avant chaussette, première main gant). Les deux extrémités « chaussées » sont tellement copines qu’elles ne peuvent plus se séparer, elles se posent donc près l’une de l’autre…
Le code : (code 1) par-dessus le banc, (code 2) par-dessus un bloc mousse plus bas, (code 3) traverser un tapis, cela oblige à agrandir sa roue et pousser de manière dynamique sur les mains, (code 4) faire la roue sur une ligne « oblige » à la verticale renversée, (code 5) la roue au bout d’un banc, c’est une prise de risque supplémentaire. Avec les codes 1 et 2, les élèves comprennent la forme globale, ensuite tous les enfants essayent toutes les figures du code, y compris celles qu’ils ne réussissent jamais ! Les trois-quart de la classe ont réussi la roue sur le sol, trois réussissent sur la ligne et passent donc par la verticale renversée.
Rouler en avant, en arrière, sur le côté
Ce qu’il y a apprendre.
Il s’agit de construire la coordination entre le renversement (bien rentrer la tête, bien grouper) et le redressement (accélérer à l’arrivée pour se relever de manière dynamique). Comme la vue ne contrôle plus rien, l’élève doit assurer l’information par le placement et l’action de ses bras au sol. Pour le rouleau sur le côté, il faut être tonique pour rester dans l’axe, si la tête part sans emmener les pieds, le corps tourne de travers.
Ce que font les enfants, évolution des réponses
Le code : (code 1) 2 rouleaux, (code 2) deux roulades, avant, (code 3) roulade + saut, (code 4) roulade arrière + saut, (code 5) deux roulades arrière.
Pour la roulade avant, il faut les centrer sur le redresser bien groupé « d’un coup » (avec ou sans les mains) pour pouvoir enchaîner un saut ou une autre roulade.
Pour la roulade arrière, c’est la poussée des bras quand j’ai la tête en bas qui pose problème : il faut « sentir » ce que font mes mains. Pour ceux qui n’arrivent pas à déclencher la roulade, une situation dérivée avec plan incliné a été utilisée au départ.
Le « petit truc» de ma copine spécialiste
Quand on veut qu’ils construisent le groupé, on réduit l’espace dans lequel ils/elles roulent : « je roule dans l’espace le plus petit possible ». Quand on veut une poussée sur les bras en roulade arrière, un redressement plus dynamique, au contraire, on agrandit l’espace dans lequel ils roulent : « je prends le plus grand espace possible ».
Rebondir sur le trampoline
Ce qu’il y a apprendre
Rebondir plusieurs fois suppose d’être équilibré. Pour réussir, il faut comprendre que c’est la toile qui fait rebondir à condition d’être « solide » (comme un bonhomme de bois) et rester solide pendant tout le temps aérien. Pour résister à toute déformation du corps, il faut :
- tonifier le buste, regarder devant soi, et avoir des bras équilibrateurs,
- coordonner l’élan horizontal avec le premier appui (vertical),
- orienter la poussée du dernier appui pour sortir.
Ce que font les enfants, évolution des réponses
Au début, j’ai demandé un seul rebond, mais c’est difficile parce qu’il faut appuyer sur la toile et orienter son impulsion pour aller devant. Ils ne décollaient pas et les figures en l’air étaient assez pauvres car peu aériennes.
La tâche initiale a donc évolué vers plusieurs rebonds. Certains enfants font dix rebonds, il faut leur dire de sortir ! Le code prévoit une variété de rebonds qui permet une grande quantité d’essais sans qu’ils se lassent de cet atelier. (Code 1) faire cinq rebonds sur deux pieds, (Code 2) le premier appui se fait sur deux pieds et ensuite il faut faire cinq appuis jambes écartées (Code3) 5 appuis sur le pied droit, (Code 4) pied gauche, (Code 5) en tournant (difficile). C’est le même problème qui est posé à chaque fois : rester très tonique et très droit pour ne pas sortir de la toile.
Sauter par-dessus les lattes
Ce qu’il y a à apprendre
Pour réussir, les enfants doivent apprendre à doser leur saut (en hauteur et en distance d’impulsion) pour ne pas toucher la latte. Ces sauts ne sont pas acrobatiques mais sollicitent la maîtrise de l’équilibre du corps en l’air. Pour les enchaîner, il faut une impulsion en avant, mais pas trop sinon, la vitesse prend le pas sur la verticalité. Si les sauts ne sont que verticaux, ils ne peuvent être enchaînés. Ceux qui réussissent sont toniques et regardent devant eux, et non leurs pieds.
Ce que font les enfants, et évolution des réponses
Le code répertorie des sauts en avant, en arrière, cloche pied (droit et gauche) et en tournant.
Au départ, beaucoup font trois sauts et tombent emportés par leur élan. En arrière, ils n’enchaînent pas ou même ne réussissent pas à passer la latte les deux pieds en même temps. En tournant, ils se perdent (un demi-tour dans un sens puis dans l’autre, ce n’est pas évident). Sur un pied, les habitué.es de la marelle ou du jeu à l’élastique réussissent bien, les autres pas si facilement. L’enfant en surcharge pondérale a eu beaucoup de mal sur cet atelier.
Le spectacle
Le spectacle est la « compilation » des différents ateliers sur « une piste » (délimitation de l’espace habituel). Pendant la durée d’une musique, les élèves passent par groupe de six, chacun doit avoir le temps de montrer « ses exploits les plus forts ». Il commence avec la musique, il s’arrête à la fin (salut).
Chacun travaille à son plus haut niveau (cf code). Il n’est pas du tout obligatoire de faire tout, ensemble, en même temps. L’organisation du spectacle ne doit pas prendre le pas sur les apprentissages moteurs.
Lors du spectacle, l’acrobate doit « s’excuser » s’il/elle rate (faire une moue, un signe…), et montrer qu’elle/il est fier en cas de réussite (comme dans un spectacle de cirque).
De cette manière, les enfants font bien la différence entre les moments d’entraînement (où je dois recommencer si je rate) et construisent le sens du spectacle.
Il n’y a pas un spectacle à chaque séance, mais à chaque séance, on montre ses exploits et les enfants ont appris à se présenter au début et à la fin de l’action (par un arrêt). Quand elles/ils sont filmées, c’est plus efficace, ils pensent à le faire à tous les coups.
Pour inciter les élèves à faire « pour » le spectateur et en retour, avoir un spectateur plus attentif, on désigne un spectateur/trice à l’avance, qui est destinataire prioritaire des signes (excuse ou fierté) d’un.e acrobate. Ce n’est qu’en fin de cycle que les élèves sont capables d’annoncer leurs exploits avant le spectacle.
Voici quelques ressources supplémentaires :
- la vidéo « Avant je faisais des ateliers, maintenant, je fais de la gym »
- l’article Construire une situation de pratique scolaire en gymnastique en maternelle
- l’histoire à lire aux élèves Anna la petite acrobate
Cet article signé Aude Piedvache est paru dans Contrepied n°16 – Osons la gym !
- On peut également leur montrer de la gymnastique sur internet et leur dire que l’on va faire une démonstration[↩]