La place des filles dans les cours de récréation est problématique : alors que des garçons jouent au foot, l’immense majorité des filles sont reléguées à la périphérie. Pour remédier à ce problème, certaines écoles suppriment les jeux de ballon un ou plusieurs jours par semaine, voire interdisent le foot 1. Cette solution, pour radicale qu’elle soit, pose-t-elle bien le problème ? La question n’est pas que ces garçons ne jouent pas, mais que tous les autres jouent aussi. Aujourd’hui, des chercheurs et chercheuses proposent des « cours d’école régulées » nettement plus prometteuses en termes de mixité et d’égalité.
Par Claire Pontais
Quel est le problème ?
La cour de récréation est un espace très important dans la vie d’un enfant. Elle est un lieu de joie, de découverte de l’autre, d’amitiés, mais également un « territoire » où se joue des enjeux de pouvoir, et même trop souvent un lieu d’agressivité. Elle est également un espace de reproduction des stéréotypes. Que constate-t-on lorsque l’on demande à des filles et des garçons de dessiner une cour de récréation ? : les filles dessinent un grand espace au milieu (avec des garçons qui jouent au foot) et elles autour, elles font le tour et ne le traversent pas. Les filles font des « petits jeux » entre elles. Il y a des exceptions bien sûr, mais elles sont rares. Les garçons qui ne jouent pas au foot, eux, s’autorisent à traverser la cour (voir vidéo Matilda).Notons également que les amitiés entre filles et garçons sont très rares. En quoi est-ce un problème ? Pour Edith Maruéjouls, spécialiste de géographie du genre à l’université de Bordeaux, la cour de récréation est le premier moment de l’entrée dans une société, elle est un espace de négociation, un lieu où l’on apprend à grandir en trouvant sa place…que les garçons et filles ne vivent pas de la même manière. Les garçons (en tant que corps social) en ont une occupation symbolique et physique, qui préfigure l’espace public adulte. Dès le plus jeune âge, les filles (en tant que corps social) incorporent l’idée que leur place n’est pas dans l’espace public.
Bruno Humbeeck, psychopédagogue de l’université de Mons (Belgique) a observé finement les cours de récréation et fait des constats intéressants. Selon lui, l’idée de se défouler à la récréation est un vision d’adulte, il y a seulement 10% des enfants qui courent, et seulement 20% des garçons qui occupent 80% du territoire de la cour. Lorsque l’on demande aux enfants ce qu’ils souhaitent, filles et garçons demandent de la même manière des coins dynamiques et des coins calmes où ils peuvent discuter. Sortir des stéréotypes, c’est considérer que l’espace séparé tel qu’il est vécu encore aujourd’hui à des conséquences sur les filles comme sur les garçons. Les garçons ont aussi besoin de tranquillité et les filles aiment aussi courir. Et au cours d’une récréation, un enfant peut avoir envie d’avoir de courir, puis de se reposer.
En conséquence, selon Edith Maruéjouls, la question n’est pas celle des garçons, mais celle des adultes qui doivent agir pour permettre une mixité qui actuellement n’existe pas. Pour elle, aménager la cour de récré, c’est la dynamiser, et surtout permettre aux enfants d’avoir une relation saine, plutôt dans la rencontre de l’autre que dans l’exclusion.
Des cours de récréation régulées par les adultes ?
Ces deux chercheurs proposent des cours régulées par les adultes. Parce que, selon Edith Maruéjouls, « sans cette régulation, il n’y a pas d’égalité possible ». Il y aura toujours un plus fort qui décidera pour un plus petit, un ou une qui imposera sa loi. Cela contrecarre l’idée de liberté totale laissée aux enfants pendant la récréation. La liberté peut être la loi de la jungle et peut s’opposer à l’égalité. « Etre à égalité, c’est avoir la même valeur dans un espace de négociations».
Pour Bruno Humbeek, « il faut pouvoir réguler ces cours d’école pour qu’on puisse les stimuler ». En Belgique, les cours régulées comportent 3 espaces : un territoire où tu peux courir avec un ballon, un territoire où tu peux courir mais sans ballon, et un territoire calme où tu ne peux pas courir. Si ces espaces sont au départ genrés, au fur et à mesure, la mixité s’installe. Il cite l’exemple des « espaces calmes » où les enfants dansent, ces zones sont d’abord investies par les filles et petit à petit investis par les garçons. Et le phénomène est le même pour l’espace où l’on joue au foot. Progressivement, la cour de récréation devient plus mixte.
Ajoutons que ces propositions pose aujourd’hui en France au moins deux problèmes : celui de la disponibilité des enseignant.es pendant la récréation ( qui n’ont pas de pause quand ils-elles « surveillent » la récréation) et celles des éducateurs-trices qui encadrent la pose du midi et qui n’ont que très rarement eu de la formation sur l’égalité filles-garçons. Proposer trois espaces différenciés ne peut suffire, la régulation et l’accompagnement permanent par des adultes est indispensable.
Le rôle de l’EPS pour acquérir des compétences et oser jouer pendant la récréation
C’est en EPS que les filles et garçons vont apprendre à jouer ensemble. Les filles oseront d’autant plus jouer au foot, et les garçons les accepteront d’autant plus qu’elles auront développé des compétences techniques en EPS. Il faut à la fois permettre à toutes les filles de jouer au foot (sports collectifs en général) et en même temps élargir l’horizon culturel des garçons au-delà du football. C’est en EPS qu’un enfant timide apprendra à « jouer au loup », jouer à la balle au prisonnier, ou à la balle assise. Il n’apprendra pas seulement « des jeux », il apprendra à bien jouer les différents rôles du jeu, condition pour oser entrer dans un jeu collectif à la récréation et y être accepté. De la même manière, apprendre à danser ensemble ou apprendre à sauter à la corde, etc… permettra aux filles et garçons de continuer à jouer ensemble pendant la récréation. C’est également en EPS que les élèves apprendront à prendre leur place dans cet espace de négociations qu’est la classe d’abord, puis la cour de récréation. Rêvons que les générations à venir considèrent la mixité comme un allant de soi, c’est une puissant levier vers plus d’égalité.
Pour aller plus loin
- Cet article est largement nourri par les interviews d’Edith Maruejouls et Bruno Humbeeck dans l’émission de France inter : Espace de jeu, de respiration et de liberté, mais aussi d’exclusion, de harcèlement et de souffrance : comment faire de la cour de récréation un lieu égalitaire ?
- Edith Maruejouls, spécialiste de géographie du genre à l’université de Bordeaux. Lire « Faire je(u) égal. Penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants ». Edition Double Ponctuation, 2022
- Bruno Humbeeck, psychopédagogue de l’université de Mons (Belgique), Lire : Aménager la cour de récréation, en un espace où il fait bon vivre », Editions De Boeck, 2018
- Voir également la vidéo sur la cour de récréation sur le site Matilda : Séquence vidéo de 6 minutes avec document d’accompagnement et ressources pour la classe. La géographe Edith Maruéjouls fait réfléchir les élèves à leurs pratiques spatiales de la cour de récréation, et aux présupposés de genre leur permettent de s’approprier ou non les espaces dans lesquels ils transitent ou stationnent.
- SNEP-FSU, 2023, Aménager les cours de récréation pour les rendre plus actives , 13è mesure parmi les 20 mesures pour apprendre en EPS à l’école primaire, développer le sport scolaire et augmenter l’activité physique quotidienne. (voir la plaquette des 20 mesures)
- Solution qui semblait une évidence en 2019 pour le magazine Causette (revue féministe, décembre 2019) qui consacrait 2 pages à l’égalité filles-garçons dans le sport et préconisait d’interdire le foot à la récréation. [↩]