Bannir les jeux où les enfants  sont éliminéꞏes

Beaucoup d’entre nous se souviennent de parties épiques de Balle aux prisonniers où  il y avait beaucoup de joie et de suspens…Qui allait gagner ? Qui allait réussir à délivrer et en même temps attraper les autres ? Aux Gendarmes et voleurs, même intensité du jeu !!  On se payait même parfois le luxe de narguer les gendarmes, parce que nous pouvions nous permettre d’être prisonnierꞏes un moment. Etions-nous tous et toutes délivréꞏes ? Rien n’est moins sûr !!!

Claire Pontais

Commençons par une anecdote : dans un jeu de Gendarmes et voleurs, deux filles papotent assises dans la prison et ne font visiblement aucun effort pour en sortir. Que font-elles ? « On boit le thé ! » m’ont-elles répondu, « Vous ne voulez pas être délivrées ? ». « ça sert à rien, on va revenir juste après » !


Nous avons effectivement observé des séances de Gendarmes et voleurs, menées par des PE débutantꞏes avec les règles ordinaires, et avons pu constater que certainꞏes enfants, prisonniers dès le départ, y restent toute la partie. Parfois même, iels ne sortent même pas de leur camp (n’entrent pas dans l’espace de jeu) sachant d’avance qu’iels seront rapidement en prison et n’en sortiront pas. Pourquoi ?  Parce qu’iels manquent d’expérience, ne courent pas vite, ne savent pas changer de direction sans être déséquilibréꞏes, ou tout simplement parce qu’iels sont perduꞏes dans ce jeu ! Il est vrai qu’il un peu stressant ce jeu où tous les joueurs courent dans tous les sens, et où je ne sais pas où se mettre pour ne pas me faire attraper !

Les dessins des enfants lorsqu’iels sont prisonnierꞏes laissent penser que la symbolique négative peut être aussi forte que la symbolique positive !

Mais l’élimination n’est pas seulement symbolique …elle est réellement discriminatoire parce qu’en éliminant les élèves les plus timoréꞏes, on les prive des apprentissages nécessaires pour progresser dans le jeu , alors que le rôle de l’Ecole est de faire l’inverse : leur donner la possibilité de jouer de nombreuses fois pour apprendre à prendre des informations dans ce milieu d’incertitude.

Les programmes d’EPS disent explicitement que nous devons viser les progrès de toustes et que notre attention doit se porter en particulier sur les élèves plus éloignés de la culture sportive. Si l’on fait des jeux traditionnels, avec les règles traditionnelles…, nous faisons exactement le contraire ! 

Loin de nous l’idée de supprimer les jeux traditionnels des programmations d’EPS… !  Mais à condition de faire en sorte qu’aucun enfant ne soit éliminéꞏe durablement et de créer les conditions pour toustes progressent.

C’est ainsi que nous avons proposé des règles du jeu qui permettent aux enfants les plus timoréꞏes de ne pas être en prison tout le temps du jeu. Dans le jeu de Gendarmes et voleurs, on leur attribue, après discussion collective, une règle momentanée de « joueur invincible » le temps qu’iels apprennent à prendre suffisamment de repères dans le jeu pour y jouer avec les règles ordinaires1 ( 1) ( voir la fiche)

Seuls quelques enfants de la classe sont concernéꞏes, mais quand on sait qu’environ 25 % des enfants ne font aucune pratique sportive en dehors de l’école, il est rare qu’il n’y en ait aucun. Le rôle de l’Ecole est de leur apprendre à bien jouer dans ces jeux  traditionnels, pas seulement leur apprendre des règles du jeu. 

Les PE que nous rencontrons en stage affirment avoir la préoccupation de la réussite de toustes. Certainꞏes nous disent « Je ne fais pas de Balle au prisonnier en CP, je trouve ça trop difficile (…) et les faibles restent trop longtemps en prison ». Mais de très nombreux PE s’aperçoivent que l’EPS est un peu à part dans leur enseignement. Voilà ce qu’iels disent lors du bilan : « Je ne comprends pas pourquoi je faisais des jeux où on élimine les plus faibles, ça ne viendrait pas à l’idée d’éliminer les plus faibles en maths ». « Tu nous as dit qu’éliminer les élèves, ce n’était pas de l’EPS. Or, cette notion d’élimination est hyper présente. J’ai compris que c’est important de faire en sorte que tous les élèves soient impliqués, qu’ils n’y en aient pas un à la traîne. Adapter le jeu pour que tout le monde joue. » ; « Je me rends compte que je dois souvent larguer les élèves en difficultés ». « Parfois j’ai des filles en difficulté dans les jeux collectifs, je me dis que je ne leur ai pas laissé assez de temps pour apprendre ! » ; « J’essaie plus d’organiser les règles en pensant aux gamins les plus en difficulté, de voir si les filles réagissent bien…avant j’y faisais moins attention ».

Dans une étude de 2024 intitulée L’éducation physique et sportive, discipline mal-aimée des élèves ?, les auteurꞏes écrivaient en conclusion : « D’autre part, il semble qu’in fine ce soit l’enseignant.e qui puisse « faire la différence » dans la relation progressivement construite par l’élève avec l’EPS ».

Alors, bannissons l’élimination de longue durée ! Inventons des règles du jeu qui permettent à  les élèves d’apprendre, en particulier les moins expérimentéꞏs.




Pour aller plus loin:

« Comment faire les équipes en sports collectifs « 

Pour , -dans la même logique- se débarrasser de la méthode qui consiste à laisser les leasers composer les équipes, et choisir en dernier les plus faibles… avec toute l’humiliation que cela engendre.

  1. Voir la fiche EPS : Le jeu des gendarmes et des voleurs   et le document didactique : Les jeux traditionnels en EPS. A quelles conditions ? ↩︎