La communication ministérielle sur le Bouger 30 mn affiche des chiffres mirobolants : 91% des écoles primaire déclarent mettre en œuvre l’APQ. Qu’en est-il dans la réalité ? Où l’on verra que tout reste à faire pour développer l’éducation physique et sportive à l’école primaire !
Par Claire Pontais, ex -formatrice en INSPE – avril 2024.
La communication ministérielle affiche des chiffres mirobolants
Lors de la semaine olympique d’avril 2024, le ministère a fait état de sa satisfaction ( Semaine olympique) « Seulement 4 ans après son lancement en février 2020 les écoles sont 33% de plus par rapport à juin 2023 à mettre en œuvre la mesure, avec 91,5% [1] des écoles primaires et élémentaires qui déclarent mettre en œuvre les 30’ d’activité physique quotidienne (APQ), même partiellement. » 1
Effectivement, en décembre 2023, le site « Maire-info » titrait : 30 mn d’APQ : un bilan mitigé . Sachant que l’APQ est la mesure phare de « l’héritage » des Jeux Olympiques de Paris, il convenait de redresser la barre ! C’est chose faite.
Qu’en est-il réellement de ce bilan ?
Pour faire une analyse fine des chiffres annoncés, nous nous référons à l’enquête de l’ONAPS (faite à Créteil, académie pilote en juin 2023) et aux résultats de deux académies que nous avons réussi à récupérer (Acad2, Acad3).
Si l’on excepte quelques différences méthodologiques 2 , on a des taux de réponses identiques à Créteil et dans l’Acad2 (56%°), plus élevé dans l’Acad3 (90%).
A Créteil et dans l’Acad2, l’APQ ne concerne que la moitié des écoles, et dans ces écoles moins de la moitié des élèves. Cela s’explique par le fait que l’APQ est majoritairement une initiative individuelle. Les projets d’équipe concernent au mieux un tiers des écoles (34% Créteil ; 20% Acad2 ; 30 % Acad3).
Seule l’enquête de Créteil renseigne sur la quantité d’APQ : 56% des enseignant.es mettent en place l’APQ dont la moitié tous les jours. Plus souvent en maternelle (75%) qu’en élémentaire (46%).
Ces chiffres relativisent donc fortement les 91% médiatisés. Résumons : la moitié des écoles ont répondu à l’enquête, parmi celles-ci 91% mettent en place l’APQ, dans ces écoles l’APQ concerne environ la moitié des élèves, et la moitié des enseignant.es d’élémentaire proposent de l’APQ tous les jours. … A force de diviser par deux, on ne sait plus bien ce qui se passe !!
Quelle forme prend le « Bouger » ?
- Récréations actives : Créteil 39% ; Acad2 : 79% ; Acad3 : 58%
- Leçons, pauses actives (salle de classe) : Créteil 32% ; Acad2 : 63% ; Acad3 56% ;
- Pauses méridiennes : Acad2 : 30% ; Acad3 : 51%
Les jeux hors récréation (type Eduscol) représentent à Créteil 43% de l’APQ. Pour les autres académies, il est impossible de le savoir, puisque le questionnaire ne demandait que le moment de l’APQ (matin ou après-midi), sans aucun renseignement sur l’activité menée. Les ressources Eduscol sont cependant déclarées être utilisées à 43% (acad2) et 63% (acad3), mais ce sont les ressources personnelles qui sont le plus utilisées à Créteil (89%) pourtant académie pilote !
En résumé, l’APQ, c’est très majoritairement : des récréations actives, des pauses actives en classe … avec éventuellement quelques jeux actifs le matin ou l’après-midi, dont on ne sait pas s’ils se font en supplément de l’EPS ou pas !
En effet, dans ces enquêtes, il n’y avait aucune question relative à l’EPS. Ainsi, rien ne permet de savoir si le dispositif a contribué à augmenter le temps global (EPS + APQ) sur le temps scolaire, ce qui était tout de même l’objectif. Rien ne permet non plus de savoir si l’APQ remplace l’EPS…ce qui est un risque non négligeable, au regard des témoignages que nous avons recueillis 3.
Au final, le bilan du « Bouger 30 mn » corrobore les témoignages que nous avons recueillis sur le terrain : la campagne médiatique sur l’activité physique quotidienne a surtout permis de réfléchir à l’aménagement et aux activités des cours de récréation. Ce n’est pas négligeable bien sûr, mais on ne peut pas dire que c’est une grande ambition pour l’école !
…la campagne médiatique sur l’activité physique quotidienne a surtout permis de réfléchir à l’aménagement et aux activités des cours de récréation. Ce n’est pas négligeable bien sûr, mais on ne peut pas dire que c’est une grande ambition pour l’école !
L’accompagnement, le coût et les effets du dispositif
On peut faire l’hypothèse que le budget conception et communication sur l’APQ a été important (rappelons qu’au départ, il a été prévu de nombreux partenariats avec les fédérations sportives), aujourd’hui, le bilan est que l’ APQ est assurée à 90% par les PE, donc sans les fédérations.
75% et 63% des enseignant·es n’ont reçu aucun accompagnement (Acad2 et 3). A Créteil, académie pilote, 36% des répondants ont reçu une formation, sans d’ailleurs que l’on en perçoive l’impact statistique, ni des bénéfices flagrants pour les enseignant·es qui déclarent : un enrichissement pédagogique (23%), un bien-être (20%) et une amélioration de la confiance à enseigner l’EPS (16%)4.
A Créteil, académie pilote, 36% des répondants ont reçu une formation, sans d’ailleurs que l’on en perçoive l’impact statistique, ni des bénéfices flagrants pour les enseignant·es …
En termes de bénéfices pour les élèves (enquête de Créteil), les enseignant.es sont loin d’être convaincu.es : il est bien noté une amélioration du bien-être (63% surtout en maternelle), du climat de classe, de la coopération entre enfants, mais les chercheurs constatent toujours ce type de bénéfice lorsqu’un un dispositif nouveau est mis en place, quel qu’il soit, a fortiori s’il est accompagné. Quand au rôle sur la sédentarité, il n’est évident que pour 58% enseignant.es et l’engagement dans la pratique sportive encore moins (37%). Quant aux effets sur les autres apprentissages, il est perçu comme quasi-nul (4%).
Conséquences sur l’EPS
Quant à l’EPS, les bénéfices ou risques sont impossible à évaluer, tellement il y a d’interprétations différentes du dispositif (récréations, pauses actives, jeux moteurs, pause méridienne…) au sein de cas de figures très différents : les écoles qui faisaient déjà bien l’EPS, celles en difficulté pour l’assurer, le manque d’équipements ou pas, la cour bien aménagée bien aménagée ou pas…
Ce qui est certain, c’est que, dans le temps scolaire étant très contraint (24h), avec une forte pression sur les maths et le français, les professeurs d’écoles ne réussissent pas à assurer l’horaire officiel d’EPS, et qu’ajouter en plus de l’APQ est un défi en soi : “quand faire ce bouger ?” et de conclure “ S’il n’y a pas d’apprentissage visé, autant allonger les récréations ! ”
Le plus gros danger reste à nos yeux celui de la substitution à l’EPS : « Avant je faisais EPS tous les jours, maintenant, si je suis en retard sur un projet, j’ai moins mauvaise conscience. J’allonge un peu la récré, je me dis qu’ils auront quand même bougé » (une enseignante de maternelle). Mais là aussi, il est impossible de l’évaluer.
« Avant je faisais EPS tous les jours, maintenant, si je suis en retard sur un projet, j’ai moins mauvaise conscience. J’allonge un peu la récré, je me dis qu’ils auront quand même bougé »
(une enseignante de maternelle)
Soyons honnête, les témoignages que nous avons recueillis pointent deux aspects positifs : le kit de matériel (sous label Décathlon…) a permis de nouvelles activités ; des enseignant.es peu à l’aise avec l’enseignement de l’EPS ont repris confiance sur ce qu’elles faisaient déjà : « ce que je fais toujours plus intéressant que le « Bouger » qui ne vise aucun apprentissage ! » (une enseignante de CP). Ces enseignant.es demandent en priorité de la formation.
Les enseignants qui ne mettent pas en place le « Bouger »
Dans le rapport de Créteil les enseignant.es qui ne mettent pas en œuvre l’APQ, invoquent essentiellement – sans surprise – le manque de temps (80%) et le manque de moyens (44%).
Le rapport de Créteil évoque d’autres freins, notamment le fait que des enseignantes pensent qu’il faut un espace ou un lieu dédié, alors que les rédacteurs insistent, ce n’est pas le cas. Des enseignantes pensent que l’APQ doit être du sport, de même les rédacteurs rappellent que ce n’est pas le cas, pour eux, parler de sport est même un frein à entrer dans le dispositif. Au final, les rédacteurs déplorent que les enseignant.es confondent EPS, AP et sport….alors que le ministère lui-même y a largement contribué !
Nous pouvons faire une autre hypothèse quand on constate la faible demande formation pour l’APQ (16% à Créteil), alors que la formation est la première demande pour l’EPS 5. Pourquoi demander une formation pour « bouger 30 minutes par jour » alors qu’il n’y a aucun apprentissage visé. La formation en EPS elle a du sens : apprendre à nager, courir longtemps, danser, jouer collectif, etc. en intégrant les finalités éducatives de l’école, oui, cela nécessite de la formation !
Cette partie du rapport de l’ONAPS (Créteil) met en évidence le problème majeur du « bouger 30 mn ». D’un côté, la nécessité de lutter contre la sédentarité (objectif partagé) et de l’autre un choix d’école : d’un côté une école centrée sur les fondamentaux, avec un « bouger » qui ne demande ni équipements, ni formation ; de l’autre la revendication d’une augmentation de l’horaire d’EPS avec tout ce que cela suppose d’espaces dédiées, de formation et de diminution de la pression sur les maths et le français. Dans le contexte actuel d’une école libérale, on comprend vite pourquoi l’accent est mis sur le « Bouger » et non l’EPS.
Et si certaines personnes en doutent encore, comment ne pas voir un lien avec la nouvelle réforme de la formation des enseignant.es qui supprime l’épreuve orale et obligatoire d’EPS au concours PE ? ! N’avoir aucune ambition dès la formation initiale des enseignant.es est révélateur de ce que le gouvernement souhaite en matière d’EPS à l’école primaire.
En cette année olympique, au milieu de toutes les déclarations d’intentions sur une « nation sportive », nous continuerons de dire que ce n’est pas le « Bouger » qui doit être mis en avant à l’école, mais bien l’EPS, avec ses apprentissages et ses prolongements dans le sport scolaire (USEP).
- A noter qu’il nous a été impossible de trouver la source (enquête Dgesco), la référence [1] ne renvoyant sur aucun lien. [↩]
- A Créteil, l’enquête concerne un échantillon représentatif (1161 enseignants sur 25 924, soit 4% de la population) et comporte des aspects qualitatifs, les autres académies concernent toutes les écoles, publiques et privées, avec une enquête internet via les directions d’école. L’enquête de Créteil intègre la maternelle, ce qui biaise un certain nombre de résultats, puisque les programmes stipulent que l’EPS doit être enseignée les jours, et les récréations y sont plus longues (donc a priori la maternelle n’était pas directement concernée par l’APQ). [↩]
- Témoignages recueillis au cours d’une dizaine de stages de formation syndicale[↩]
- Ces chiffres sont loin de ceux annoncés sur le site « Acteurs du sport » dont nous ne connaissons pas l’origine : 54% des enseignants ont amélioré leur confiance pour encadrer l’EPS, et 62% leur bien-être personnel. [↩]
- Pontais-Thépaut-Verscheure, (2022) Enquête sur les écoles vitaminées par l’EPS[↩]