Les jeux traditionnels peuvent être une référence dès la petite section de maternelle, à condition d’être adaptés pour ne pas éliminer les élèves les plus timorés.
Ce jeu du loup permet aux élèves de jouer deux rôles : de devenir un enfant malin (ou « cochon », « agneau »), et un loup efficace. Dans les deux cas, l’élève apprend à se déplacer en fonction de la situation et du choix qu’il fait : choisir le meilleur chemin, attendre le moment le plus favorable, etc… et identifier diverses stratégies (Objectif 4 des programmes 2015 : Collaborer, coopérer, s’opposer, individuellement et collectivement, dans le cadre d’une règle, pour participer à la recherche de différentes solutions ou stratégies).
Pour éviter une charge affective trop grande, notre loup ne mange pas les enfants, mais les attrape pour leur prendre leur trésor (des lego par exemple). C’est donc une version différente du jeu traditionnel qui prend des ‘vies’.
Le but du jeu
Il y a deux équipes qui s’opposent, c’est un jeu non -réversible. Seule l’équipe des enfants doit atteindre une cible.
Pour les enfants : partir de son camp et aller porter des objets (un à la fois) dans l’autre camp (ou une cible, un tapis) sans se faire attraper par les loups.
Pour les loups : attraper les enfants pour leur prendre leur objet et le mettre dans leur boîte.
Que les enfants atteignent la cible ou perdent leur objet, ils repartent rechercher un objet jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus.
A la fin, on compare globalement la quantité d’objets (deux récipients transparents par exemple). Savoir si on a transporté beaucoup d’objets (ou pas) va permettre de se poser des questions sur les stratégies à élaborer pour devenir plus efficace.
Première étape : comprendre le jeu
Au départ il peut y avoir un seul loup (l’enseignante**) contre toute la classe. Cela fait un grand déséquilibre entre les deux équipes, en faveur des enfants, pour permettre à tous d’entrer dans l’activité. Puis l’enseignante se fait aider par quelques enfants, puis les enfants jouent seuls. Il y a toujours plus d’enfants que de loups, pour favoriser l’avancée vers la cible et permettre l’engagement de tous : environ 1/3 de loups pour 2/3 d’enfants. Cela fait 3 équipes, chacun est loup au moins une fois dans la séance.
Les premières séances sont consacrées à la compréhension des règles et des deux rôles : le loup doit attraper les enfants ; les enfants ne doivent pas se ‘jeter dans la gueule du loup’. Il faut plusieurs séances pour comprendre cela (6 séances environ en petite section, 3 en moyenne section).
Le rôle du loup n’est pas évident au début. Il faut se rappeler que les enfants ne sont pas grands et ont une vision globale du jeu limitée. Exemples : il court dans tous les sens sans attraper, il reste immobile sans savoir qui attraper, il suit un enfant sans saisir les opportunités lorsqu’un autre enfant passe tout près.
Les premiers bilans de séance sont consacrés à la compréhension des espaces de jeu, la compréhension des règles. Ils se font en classe, et sont l’occasion d’élaborer un langage spécifique : équipes, camps, boites, zones, plots, rôles, etc. On peut faire dessiner les enfants pour mieux savoir comment ils se représentent la situation.
Manon, Moyenne Section, 3è séance Anais, petite section, 3è séance
Deuxième étape : la stratégie des loups
Puis les bilans sont consacrés à la stratégie du loup. Si les loups sont « endormis », c’est trop facile pour les enfants, le jeu perd vite son intérêt, leur engagement dans le rôle est donc important. Il faut apprendre à être loup.
- Dans la salle d’EPS : observer le nombre de fois où un loup attrape (on colle une gommette à chaque fois). Comparer : pourquoi Adèle attrape beaucoup d’enfants ? que fait Zoé, qui n’en a attrapé qu’un ?
- En classe : on peut travailler avec une maquette et des playmobiles.
Les premières stratégies : les enfants disent qu’il faut courir vite. C’est vrai, mais insuffisant, voire pas efficace si on court partout sans réfléchir.
On peut aussi regarder la vidéo : Que fait Adèle ? Elle attend, elle regarde d’abord et après elle court vite. Avec des plus grands, les stratégies peuvent s’affiner : j’ai couru après Adrien, mais après j’ai changé pour courir après Tom qui passait à côté de moi.
Troisième étape : la stratégie des enfants
Les séances suivantes sont centrées sur les stratégies des enfants pour ne pas se faire attraper : est-ce que je me fais souvent attraper, est-ce que je réussis souvent à passer ? combien de fois ?
Les premières stratégies :
Aurélie « Le petit cochon a couru, il a même pas été touché »
Louise « Le petit cochon a fait demi-tour devant le loup »
Il est nécessaire que les enfants apprennent à prendre des informations en fonction de la situation.
On peut continuer à travailler sur la maquette (avec un tableau magnétique pour les moyens/grands) pour identifier les espaces à utiliser en fonction de la position du loup.
Moyenne section – 6è séance
On ne passe pas au même endroit si le loup est au milieu, ou s’il est sur le côté. On ne part pas au même moment si :
- s’il me regarde ou s’il ne me regarde pas
- s’il est loin de moi ou s’il est près
- s’il court vite ou pas vite,
- s’il est à l’arrêt ou s’il court déjà
- s’il court vers moi ou vers quelqu’un d’autre.
Les enfants vont apprendre à faire des choix stratégiques en fonction de la lecture qu’ils font de la situation à l’instant T. ( Si je vois ça…., alors, je fais ça…) Bien sûr, ils ne peuvent pas tout expliciter (et ce serait inutile), mais les centrer sur ces indices à prendre dans le jeu les aide à mieux prendre des informations dans le jeu. Au début, les enfants disent :
- Il faut courir vite : certes, mais comme pour le loup, ça ne suffit pas.
- Ne pas se faire remarquer : certes, mais comment ?
- Il fait des zig-zags… certes, mais si on en reste là, l’enfant qui est « perdu » dans le jeu va faire des zig-zags sans se référer aux loups et aux espaces libres !
Les enfants apprennent donc à prendre des informations de plus en plus pertinentes pour ne pas se faire attraper.
Il n’y a quasiment pas de stratégies collectives concertées au préalable. Mais a posteriori, les enfants peuvent dire : j’ai vu que Martin se faisait attraper alors je suis passé.
A la fin du module, on peut voir des stratégies plus élaborées. Faire une farce : faire semblant d’avoir une brique (lego) dans ses mains. Puis quelques coopérations : partir en même temps, le loup n’en attrape qu’un ; quand je vois que le loup va m’attraper, je donne la brique à un copain.
Martin « Il n’est pas passé, mais il n’avait pas de brique. Pendant ce temps-là, d’autres petits cochons sont passés. » Camille « Les cochons partent tous en même temps, le loup n’en attrape qu’un. Les autres passent ».
Ces stratégies doivent donner lieu à des traces écrites
Ces stratégies doivent donner lieu à des traces écrites, pour pouvoir être intégrées par tous.
S’il y a des observations, elles doivent être très concrètes : un observateur ne regarde un seul enfant à la fois et on compte ce qu’il fait (gommettes ou autres).
L’enseignante peut prendre 3 enfants à côté d’elle pour commenter le jeu (comme à la télé !), cela permet aux enfants de se centrer soit sur un enfant en particulier et à l’enseignante de savoir ce qu’il regarde.
On peut avoir besoin de jeux en effectifs réduits :
- Au début, si des enfants restent timorés lorsqu’ils sont loups : 1 loup pour 5 enfants dans un espace réduit sans cible (carré de 4 m x 4m). Pendant 1 minute le loup doit attraper le plus possible d’enfants (un observateur compte). Chaque enfant est loup à son tour.
- Pour des enfants qui courent vite mais identifient difficilement les stratégies : 4 enfants contre 3 loups : le rapport de force est alors très favorable aux loups, les enfants doivent prendre des informations plus finement.
Un module de 12 séances passe très vite ! Les enfants jouent et apprennent dans le jeu. Ils ne se lassent parce qu’ils sont centrés sur des apprentissages qui les intéressent. La quantité de pratique est déterminante (au moins 3 jeux de 5 minutes effectives en une séance) ; ainsi que les bilans de séances pour qu’ils se posent des questions et progressent.
Pour aller plus loin :
- L’article de Sandrine Prevel : Langage et EPS ou langage en EPS (ContrePied n°14, 2016)
- Première publication dans ContrePied n°11 – Maternelle : quelle EPS ? – Les loups et les cochons, Octobre 2002
*De nombreuses enseignantes ont testé ce jeu dans leur classe de petits ou moyens depuis sa première publication en 2002. Il a été mis à l’épreuve dans la thèse sur « Langage et EPS » de Sandrine Prevel. La contribution de Léa Michon (école de Roncey, 50) a permis d’affiner ce compte rendu de pratique. A noter que sa séquence s’est passée à la rentrée de janvier, avec un enfant de PS qui arrivait tout juste à l’école. Les premières séances, cet enfant a porté un dossard jaune et les autres l’ont facilement repéré. La consigne était : en pas le bousculer, ne pas lui prendre sa brique. Cette règle a très bien été accepté par tous. Cet enfant apparait sur le dessin de Manon.
**Nous féminisons parce que les enseignants de maternelle sont à 96% des enseignantes (règle de la majorité).