Quelle que soit l’APSA que les élèves doivent étudier, l’enseignant·e se pose toujours la même question : comment articuler sens pour l’élève et apprentissage ? Quel est la place du jeu par rapport aux exercices ?
Voici la proposition par Claire Pontais d’une démarche qui a fait ses preuves.
Dans les années 80-90, l’équipe de recherche en didactique de l’INRP, pilotée par Jacqueline Marsenach, proposait une nouvelle façon de concevoir et d’animer des situations-problèmes en EPS. Celle-ci s’appuyait sur la « théorie des situations » de Guy Brousseau (conçue au départ pour les mathématiques), et renouvelait totalement la notion de jeu dans l’apprentissage. Les formateurs en EPS de l’IUFM de Saint Lô estiment que sa transposition à l’EPS offre une démarche très performante pour faire apprendre.
La notion fondamentale qui fonde la théorie des situations est la dévolution. G. Brousseau 1 la définit comme l’acte par lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’un problème et accepte lui-même la responsabilité de ce transfert. Le maître doit provoquer chez l’élève les adaptations souhaitées par un choix judicieux des problèmes qu’il propose. Il faut que le problème posé à l’élève le fasse agir, parler, réfléchir, évoluer de son propre mouvement.
Pour cela deux conditions au moins sont à réunir : il faut donc que l’élève accepte le problème comme sien (…), il sait que le problème a été choisi pour lui faire acquérir une connaissance nouvelle. Mais l’élève ne peut résoudre d’emblée n’importe quelle situation, le maître lui en dégage donc qui sont à sa portée. (…) Il s’agit toujours de savoir à quel jeu l’élève doit jouer pour que les stratégies les plus efficaces impliquent l’usage du savoir qu’on veut lui enseigner ; il s’agit aussi que le jeu puisse lui être communiqué, et pour qu’il le comprenne, il faut en général qu’il puisse immédiatement mettre en œuvre une stratégie « de base » qui, même si elle ne lui permet pas de gagner, permet de jouer et d’espérer gagner.
La construction d’une telle situation que nous appelons situation de pratique scolaire 2 renvoie à la tentative d’articuler la confrontation à un milieu posant problème (apprentissage) et le projet de l’élève (jeu).
L’enseignant joue un rôle déterminant dans la construction et l’animation de cette situation.
Quelles conséquences pour l’EPS ?
La construction de la situation de pratique scolaire
Elle a du sens pour l’élève. Elle est construite en référence à une pratique sociale, une APSA, et en contient la contradiction essentielle. Elle engage l’élève dans une activité authentique : performance, épreuve, compétition, si l’on fait référence à Bernard Jeu. Pour l’élève, c’est un jeu, un motif d’agir. Ce jeu étant construit en fonction des objectifs scolaires que l’on veut atteindre, il s’éloigne nécessairement – plus ou moins – de la pratique sociale : pour être moins global, moins confus (tout en gardant une certaine complexité) et mieux cibler le problème à résoudre.
Elle pose un ou des problèmes à résoudre.
Cela en rapport avec les caractéristiques de l’APSA considérée.
- Elle doit permettre aux élèves d’agir mais aussi les empêcher de réussir avec les seuls moyens dont ils disposent : ils doivent donc pouvoir utiliser leurs actions familières, mais en même temps être contraints de les transformer.
- Elle pose le « bon » problème c’est-à-dire en « décalage optimum » avec les possibilités de l’élève (cela suppose d’avoir défini le palier adaptatif visé 3 mais en même temps être suffisamment contraignant (règles, aménagement, critères de réussite) pour fournir la possibilité à l’élève de construire de nouveaux repères.
Elle articule sens et apprentissage tout au long du cycle.
L’élève peut s’engager d’emblée dans l’action : la situation plait à l’élève, il a envie de la vivre et de la répéter.
- Il ne réussit pas mais peut agir avec plaisir.
- Il est assez autonome, mais ce n’est qu’en fin d’apprentissage qu’il le sera totalement. Il peut imaginer ses progrès possibles : la situation doit permettre l’émergence d’un projet d’apprentissage.
- _ L’enseignant (e) a la responsabilité de mettre « à la disposition » de l’élève des outils pour qu’il progresse. Ces outils sont des questions ciblées, des données quantitatives ou qualitatives, repères sur sa propre activité ou celle des autres. Le rôle de l’observation est déterminant.
- L’élève peut juger et suivre ses progrès tout au long du processus d’apprentissage. La situation a une fonction de comparaison et d’évaluation. Elle est donc stable pendant plusieurs séances tout le temps que les transformations visées ne se sont pas produites. C’est l’activité cognitive de l’élève dans la situation, sa réflexion sur l’action, qui évolue au fur et à mesure des séances. Son « contrat » peut évoluer dans la même situation.
La notion de situation dérivée.
La situation de pratique scolaire ne permet pas toujours à l’élève de prendre conscience ou de résoudre le problème pris dans sa globalité, il est alors nécessaire de proposer une situation dérivée qui isole un paramètre issu de la situation globale.
C’est ce qu’on appelle dans un langage courant un exercice. Mais pour ne pas être vécue comme un exercice formel, cette situation dérivée doit être significative du problème à résoudre et être reconnue comme nécessaire pour progresser. Cette tâche aura un but à atteindre et des critères de réussite précis.
L’animation de la situation de pratique scolaire
L’animation de la situation de pratique scolaire n’est pas évidente, l’enseignant (e) doit refréner toute intervention intempestive qui se substituerait à l’activité propre des élèves et modifierait profondément la tâche. Cependant il est déterminant qu’il intervienne pour faire évoluer la réflexion de l’élève sur son action pour pouvoir progresser.
La démarche initiée par Brousseau en mathématiques s’est enrichie de toute la réflexion sur la « problématisation » en didactique des sciences (Fabre, Orange).
Elle insiste autant sur l’activité de l’élève dans la situation que sur le rôle de l’enseignant(e) pour favoriser cette activité de l’élève.
Une phase d’épreuve
est-ce que le jeu me plaît ? Il s’agit pour l’élève de donner du sens à la situation d’apprentissage et vivre une quantité suffisante d’actions pour explorer toutes les possibilités liées au problème posé et faire fonctionner tous les savoirs dont il dispose déjà.
À cette étape, l’élève ne se pose pas des questions sur lui, il met en relation son action et le résultat de son action. Il comprend les critères de réussite. Les interventions de l’enseignant-e sont liées au sens et au respect des critères de réussite.
Une phase de mise à distance et de problématisation.
Est-ce que je réussis ou pas ?
Centrer l’élève sur le résultat de son action et/ou le code social de la classe (règlement, code de pointage…).
Il est important que l’élève se rende compte que sa réponse n’est pas adaptée aux contraintes de la situation. À l’aide de différents outils fournis par l’enseignant (une fiche d’observation, l’observation du professeur ou d’un camarade, une situation dérivée…), il y a une prise de conscience du problème.
À propos des critères de réussite
l’élève doit savoir ce que l’on attend de lui pour se rendre compte du problème mais l’acceptation des critères de réussite est aussi parfois difficile. Il ne suffit pas d’expliquer à un élève qu’il se trompe pour qu’il accepte la contrainte.
Ce qui apparaît souvent pour l’enseignant comme un refus de faire de la part de l’élève et qui est parfois réglé par une « leçon de morale » (ce qui est bien/mal) ou une injonction à faire peut être lié à une incompréhension de l’élève : il ne sait pas s’il a réussi ou s’il a raté ou pourquoi il a réussi ou raté, en raison d’une insuffisance de repères, ou d’une difficulté à intégrer les critères de réussite. Il n’est pas si évident de savoir si l’on a réussi ou raté. Une discussion ne suffit pas toujours, l’enseignant (e) peut être amené à construire des situations particulières pour cela.
Pourquoi je ne réussis pas ?
L’élève identifie le problème qu’il rencontre en même temps qu’il ébauche des solutions. L’intervention de l’enseignant (e) semble indispensable à ce moment : il met à sa disposition des aides qui vont permettre l’émergence d’un projet d’action que l’élève aura décidé.
Une phase de résolution de problème : que changer pour réussir ? Centrer l’élève sur les nouveaux indices à privilégier. À l’aide des questions que lui pose le maître, des variables qu’il utilise, l’élève formule des hypothèses, fait des tentatives « raisonnées », il prend des nouveaux repères, des nouvelles informations sur lui.
Cependant, tout n’est pas conscientisé. La globalité de la situation est gérée au plan sensori-moteur. La conscientisation, qui ne veut pas obligatoirement dire verbalisation (notamment chez les plus jeunes), portera uniquement sur certaines informations en relation avec la transformation visée.
Une phase d’institutionnalisation.
L’élève entre dans une phase qui est pour lui une phase d’« entraînement », s’il réussit, il est capable de formuler des règles d’action (à sa manière, différemment suivant l’âge de l’élève) : comment faire pour réussir ?
Il s’agira ensuite de stabiliser l’apprentissage pour pouvoir dire : est-ce que je réussis à tous les coups ? C’est l’aptitude à répéter plusieurs fois le même exploit.
Si l’élève a eu besoin d’une situation dérivée pour résoudre son problème, on pourra dire qu’il a appris que lorsque son comportement sera stabilisé dans la situation globale : est-ce que je sais toujours le faire si la situation n’est pas exactement la même ?.
Cet article est paru dans contrepied n° 26 Quand est-ce qu’on joue ? – Octobre 2010
- G. Brousseau, Théorisation des phénomènes
d’enseignement mathématiques, 1986.[↩]
- A. Le Bas, Situation de pratique scolaire – Transposition didactique et problématisation (en complément sur le site).[↩]
- J. Marsenach, L’EPS, quel enseignement ? INRP,1990.[↩]